
Il y a des économistes qui écrivent pour les banquiers, d'autres pour les ministres. Et puis, il y a Frédéric Bastiat (1801–1850), qui écrivait pour le peuple — mais un peuple qu’il voulait libre, responsable et lucide. Journaliste, député, pamphlétaire, Bastiat a peu vécu, mais il a frappé fort. Avec ses phrases courtes, ses ironies mordantes et ses démonstrations lumineuses, il est devenu l’un des plus grands vulgarisateurs du libéralisme classique, au point d’en être parfois surnommé “le Victor Hugo de l’économie”.
Bastiat n’avait rien d’un technocrate. Il partait d’un principe simple : l’État ne produit rien. Chaque fois qu’il donne quelque chose à quelqu’un, il l’a pris à quelqu’un d’autre. Cela ne signifie pas qu’il faut abolir l’État, mais qu’il faut le voir pour ce qu’il est : un agent d’arbitrage, souvent biaisé, parfois aveugle, toujours coûteux. Dans son essai devenu culte, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, Bastiat démontre que les politiques publiques doivent être jugées non pas sur leurs effets visibles (les emplois créés, les aides données), mais sur leurs effets invisibles : les richesses non produites, les libertés restreintes, l’initiative découragée.
Cette méthode de pensée est d’une actualité brûlante. Quand un gouvernement subventionne une usine ou offre des logements à bas prix, on applaudit. Bastiat, lui, demande : et les impôts pour financer cela, qui les paie ? Que se serait-il passé si cet argent était resté dans les mains des citoyens ? Ce n’est pas une position dogmatique, c’est une exigence de rigueur intellectuelle. En cela, Bastiat est plus qu’un économiste : c’est un démystificateur de l’illusion politique. Il démonte les sophismes, les “bons sentiments budgétaires”, les slogans creux, et replace la liberté individuelle au cœur du raisonnement économique.
Un autre pilier de sa pensée, c’est la défense acharnée du libre-échange. Bastiat combat sans relâche les tarifs douaniers, les monopoles, les privilèges accordés aux corporations ou aux producteurs. Il se moque de ceux qui veulent “protéger” l’économie comme on enferme un malade sous cloche. Pour lui, la richesse naît de l’échange volontaire, et toute barrière commerciale est un appauvrissement mutuel. Le protectionnisme est un vol légalisé au nom d’intérêts particuliers.
Mais Bastiat, c’est aussi un moraliste, au sens noble. Il s’oppose à la “spoliation légale”, cette idée que la loi peut être utilisée pour voler au nom du bien commun. Lorsque l’État devient l’instrument d’un groupe pour en exploiter un autre, même avec des intentions nobles, alors la société s’enfonce dans l’injustice. Sa fameuse formule résume tout :
« L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. »
Frédéric Bastiat est mort jeune, mais il nous a légué des armes intellectuelles redoutables contre l’idéologie de la dépendance. Dans un monde où la redistribution est devenue une fin en soi, où le pouvoir promet plus qu’il ne peut offrir, Bastiat nous rappelle que la vraie justice naît de la liberté, et non de l’envie. Il est, aujourd’hui plus que jamais, un vaccin contre la démagogie. Et sous le paillasson du progrès social, il nous invite à regarder — calmement, honnêtement — ce qu’on ne veut pas voir.
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