
Pendant des millénaires, la maternité a été à la fois miracle, fardeau, et assignation. La capacité biologique de porter un enfant a servi d’argument pour maintenir les femmes dans un rôle social précis : celui de mères, de nourricières, de piliers de la reproduction… et, souvent, de la maison.
Mais une révolution technologique s’annonce : les utérus artificiels ou « ectogénèse ». Encore expérimentaux aujourd’hui, ils pourraient demain permettre de mener une grossesse entièrement en dehors du corps humain.
Et si cette innovation était la clé pour briser l’une des dernières inégalités biologiques entre les sexes?
La maternité, entre choix et contrainte
Porter un enfant est une expérience que certaines femmes décrivent comme transcendante. Mais elle est aussi souvent marquée par des douleurs, des risques, des pertes économiques, et un impact professionnel durable. L’idée que la maternité devrait être une preuve d’amour ou un sacrifice naturel est profondément enracinée, mais elle repose sur une inégalité biologique indéniable : seul le corps féminin porte la grossesse.
Même dans les sociétés les plus égalitaires, cette réalité crée un déséquilibre. Il ne s’agit pas simplement de congés parentaux ou de répartition des tâches : il s’agit de neuf mois où le corps de la femme est physiquement mobilisé, parfois mis en danger, sans équivalent pour l’homme.
Libérer les corps par la technologie
Imaginez un monde où une grossesse peut se dérouler dans un incubateur ultra-sophistiqué. Où les embryons grandissent dans un environnement contrôlé, sans nausées, sans lit d’hôpital, sans mise à l’écart du marché du travail.
Ce n’est plus de la science-fiction. En 2017, une équipe de chercheurs de Philadelphie a fait grandir avec succès des fœtus d’agneaux dans des sacs amniotiques artificiels. Le développement de technologies similaires pour les humains est en cours.
Ce que cela implique? La possibilité, pour deux personnes, peu importe leur sexe, d’avoir un enfant sans grossesse portée. Et pour les femmes, la fin de l’idée que l’utérus est un destin.
Une utopie féministe ou un cauchemar dystopique?
Ce progrès pose des questions vertigineuses :
- Les femmes auront-elles le choix de ne plus jamais être enceintes, sans renoncer à la maternité?
- L’ectogénèse permettra-t-elle aux couples homosexuels masculins d’accéder à la parentalité sans mère porteuse?
- L’État ou les entreprises pourraient-ils un jour imposer ce mode de reproduction pour des raisons de rentabilité ou de contrôle social?
Car si cette technologie libère, elle pourrait aussi déshumaniser. En retirant la grossesse du corps, on retire aussi une part d’intimité, de lien biologique… et on ouvre la porte à une marchandisation inédite de la reproduction.
Une égalité possible, mais à quel prix?
Les utérus artificiels ne sont pas qu’un gadget futuriste : ils interrogent notre rapport au corps, à la maternité, à l’égalité. Pour la première fois, il serait possible de rendre équitable la charge reproductive — de la déléguer à la machine pour permettre à chacun de devenir parent sans assignation biologique.
Mais cela demandera plus qu’une innovation technique : il faudra une réflexion éthique, sociale et politique profonde. Et surtout, s’assurer que cette technologie serve la liberté… et non le contrôle.
Conclusion : Et si la dernière révolution féministe était technologique?
Peut-on imaginer un féminisme post-utérin? Une société où la maternité est un choix libre, désincarné, mais toujours plein d’amour? Où aucune femme n’est tenue à l’écart de la vie publique ou professionnelle pour avoir donné la vie?
Les utérus artificiels posent une question essentielle : sommes-nous prêts à dissocier la biologie du rôle social? À choisir la parentalité sans souffrance imposée?
L’avenir est peut-être plus proche qu’on ne le pense.
Notes de bas de page
1. Partridge, E. A., Davey, M. G., Hornick, M. A., McGovern, P. E., Mejaddam, A. Y., et al. (2017). *An extra-uterine system to physiologically support the extreme premature lamb*. *Nature Communications*, 8(1), 15112.
2. BBC Future. (2022). *Artificial wombs: The coming revolution in pregnancy*. Consulté sur : [https://www.bbc.com/future](https://www.bbc.com/future)
3. Lewis, S. (2022). *Full Surrogacy Now: Feminism Against Family*. Verso Books.
4. Smajdor, A. (2007). *The moral imperative for ectogenesis*. *Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics*, 16(3), 336–345.
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