
Dans une entrevue captivante accordée au média indépendant Thinkerview, la géologue Aurore Stéphan, chercheuse au CNRS et spécialiste de la pollution minière, offre un éclairage percutant sur les dessous toxiques de l'industrie minière. Avec calme et précision, elle démonte les mythes qui entourent la soi-disant « transition écologique » et rappelle une vérité souvent évacuée des débats publics : l'économie verte repose, elle aussi, sur une chaîne d'extraction massive, destructrice, et encore largement incontrôlée.
Son message est clair : sans une refonte complète de notre rapport aux métaux, à la consommation, et à la technologie, nous risquons de reproduire les mêmes impasses environnementales, sous couvert de bonne conscience.
1. Une industrie à très faible rendement, à très haut impact. Pour extraire une seule tonne de métal, ce sont souvent des millions de tonnes de roche qu'il faut broyer, transporter, traiter. Le rendement moyen? À peine 0,1 à 3 % pour la plupart des métaux, et 1 g/tonne pour l'or. Le reste devient déchet. Des déchets chargés d'arsenic, de plomb, de mercure, parfois stockés dans des barrages fragiles qui, lorsqu'ils cèdent (Espagne 1998, Roumanie 2000, Hongrie 2002), libèrent des boues toxiques sur des kilomètres.
2. Une pression sur les écosystèmes... et sur les humains. L'exploitation minière fait baisser les nappes phréatiques, contamine les rivières, et affecte la santé des populations avoisinantes : lésions cutanées, malformations congénitales, maladies respiratoires. Le tout dans un contexte de répression croissante : selon EJAtlas, 20 % des conflits sociaux et environnementaux mondiaux sont liés à l'activité minière. L'ONU, dès 2006, pointait l'implication directe des industries extractives dans des violations graves des droits humains.
3. Une transition énergétique plus minérale que verte
Le secteur minier représente 8 à 10 % de l'énergie mondiale consommée, et 4 à 7 % des émissions de GES. Pour une batterie de voiture électrique, ce sont des dizaines de kilos de cobalt, nickel, lithium, manganèse à extraire. Ironie : les véhicules électriques émettent 2 à 4 fois plus de CO2 à la fabrication que les véhicules thermiques. L'exploitation minière en eaux profondes - envisagée comme alternative - serait une catastrophe écologique silencieuse : panaches toxiques, destruction d'écosystèmes vierges, perte irréversible de biodiversité.
4. Un recyclage encore largement insuffisant
Nos téléphones contiennent jusqu'à 52 métaux différents, dans des quantités trop infimes pour permettre un recyclage rentable avec les technologies actuelles. Résultat : moins de 20 % des métaux rares sont recyclés efficacement. Et pendant ce temps, la demande explose : 80 % du cobalt mondial vient de la RDC, où les conditions d'extraction frisent l'esclavage moderne. Certaines projections estiment que la conversion vers une flotte 100 % électrique d'ici 2050 nécessiterait la totalité des réserves mondiales connues de cobalt.
5. Réglementer, responsabiliser, repenser
En France, le cadre juridique distingue encore mines (code minier) et carrières (code de l'environnement), avec des exigences variables. Il est temps d'unifier, de renforcer, d'imposer la traçabilité des métaux, une réglementation internationale stricte, et de criminaliser l'exploitation Du destructrice dans les zones sensibles.
6. Vers une autre écologie
Des alternatives existent : recyclage plus efficace, extraction géothermique, phytoremédiation, mais elles restent sous-financées. La réduction à la source, l'allongement de la durée de vie des appareils, et une consommation plus sobre doivent faire partie de la discussion. Le rapport War on Want de 2021 appelle à une transition juste, respectueuse des humains et des écosystèmes. Aujourd'hui, cette justice manque cruellement.
L'industrie minière, pilier silencieux de notre confort moderne, est devenue l'angle mort de la transition énergétique. À nous, citoyens, journalistes, élus, investisseurs, d'exiger une transparence totale, une réglementation ambitieuse et une responsabilité réelle. Car une planète durable ne peut pas être construite sur des fondations de boue toxique.
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