
Chaque année, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) publie un classement mondial de la liberté de la presse. Et chaque année, les Canadiens se rassuraient de voir leur pays figurer parmi les premiers. Mais en 2024, le Canada a chuté de la 15e à la 21e place. Une glissade de six rangs qui ne peut être ignorée [1].
Alors que certains médias d'État se félicitent encore de leur supposée neutralité, cette chute est révélatrice d’un malaise plus profond : la perte de diversité, de crédibilité et de présence terrain dans le paysage médiatique canadien.
Pas un cas isolé : les démocraties occidentales en recul
Le Canada n’est pas seul à reculer. D'autres pays du G7, supposés modèles de liberté démocratique, connaissent également une dégradation :
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Allemagne : quitte le top 10 et passe à la 11e place en 2025, après avoir été 10e en 2024,
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Royaume-Uni : se situe à la 23e place,
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Italie : descend à la 41e place,
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États-Unis : stagnent autour de la 55e place,
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Japon : continue de traîner à la 70e place.
Ce recul collectif des grandes démocraties indique que la liberté de la presse est sous pression dans l’ensemble du monde occidental, menacée à la fois par la polarisation politique, la concentration économique et la méfiance croissante du public.
Moins de diversité, plus de dépendance
Le rapport de RSF pointe, pour le cas canadien :
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Une concentration des médias dans les mains de quelques conglomérats (Québecor, Bell Média, CBC/Radio-Canada),
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Des pressions politiques croissantes sur les journalistes, en particulier lors des crises,
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Et une dépendance financière grandissante envers les subventions publiques, qui atteignent près de 600 millions $ depuis 2018 [2].
Quand l’État finance les journaux qu’il est censé surveiller, l’indépendance devient théorique. Et les citoyens ne sont pas dupes : ils sentent ce déséquilibre croissant.
La disparition du journalisme de terrain
Les salles de presse locales se vident. De nombreuses régions du pays n’ont plus aucun journaliste attitré, et doivent se contenter d’une couverture distante, parfois rédigée depuis les grands centres urbains.
Ce vide contribue à affaiblir la qualité de l’information, à briser le lien de confiance entre les médias et les communautés, et à créer un climat d’indifférence ou de cynisme.
Le public n’est pas dupe
Selon un sondage Léger publié en 2023 :
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Seuls 38 % des Canadiens affirment faire confiance aux médias d'information [4],
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Et près de 60 % les jugent trop alignés avec le gouvernement.
La liberté de la presse, ce n’est pas seulement l’absence de censure. C’est la capacité à produire une information indépendante, rigoureuse, variée et enracinée dans le réel.
Les 10 pays les mieux classés en 2025 selon RSF
Malgré un recul global de la liberté de la presse, certains pays se distinguent par leur engagement envers un journalisme libre et indépendant. Selon le classement 2025 de RSF, les 10 pays les mieux classés sont :
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Norvège
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Danemark
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Suède
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Pays-Bas
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Finlande
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Estonie
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Irlande
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Portugal
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Liechtenstein
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Lituanie
Ces pays partagent plusieurs caractéristiques favorables à la liberté de la presse :
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Cadres juridiques solides protégeant la liberté d'expression et d'information
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Indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques
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Transparence dans la propriété des médias et diversité des sources d'information
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Soutien au journalisme local et à l'investigation
À noter que l’Allemagne, bien qu’encore bien classée, a quitté le top 10 en raison d’un climat plus hostile pour les journalistes, notamment à cause de pressions politiques et de tensions sociales croissantes.
Que faire ?
Si le Canada veut regagner la confiance de ses citoyens et remonter dans le classement RSF, il faudra :
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Rendre les subventions aux médias plus transparentes et non partisanes
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Encourager un écosystème médiatique décentralisé et diversifié
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Financer la presse locale et le journalisme d’enquête plutôt que les grandes machines centralisées
Conclusion
La chute du Canada dans le classement RSF n’est pas un incident isolé. C’est un signal d’alarme global.
À force de vouloir uniformiser le discours médiatique, on finit par affaiblir la démocratie elle-même. Il est temps de reconstruire une presse libre, crédible et enracinée. Une presse qui ose, qui dérange, et qui rend des comptes — à ses lecteurs, pas à ses bailleurs de fonds.
Sous Le Paillasson – Rien sous le tapis. Tout sous la loupe.
Sources
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Reporters Sans Frontières (RSF) – Classement mondial 2025 : https://rsf.org/fr/classement
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Gouvernement du Canada – Aide aux médias : https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/fonds-journalisme-local.html
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IRIS – Disparition de la presse locale, 2022 : https://iris-recherche.qc.ca/publications/disparition-de-la-presse-locale
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Sondage Léger – Confiance dans les institutions, 2023 : https://leger360.com
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