Le chantier invisible : ce que Simon Benoît révèle sur la construction au Québec

Publié le 4 juin 2025 à 06:35

« J’ai demandé à un apprenti de passer le balai. On m’a dit que c’était illégal. » Cette phrase prononcée par Simon Benoît, entrepreneur en construction, a déclenché un raz-de-marée de réactions. Sa vidéo virale – visionnée des dizaines de milliers de fois – ne fait que 7 minutes, mais elle écorche une industrie entière, gangrenée par une sur-réglementation, une rigidité syndicale et un écart grandissant entre coût réel et service rendu.

Dans une entrevue franche et articulée avec Ian et Frank, Simon pousse plus loin sa réflexion. Le diagnostic qu’il pose est clair : l’industrie de la construction au Québec fonctionne comme une machine lourde, coûteuse, fonctionnarisée… et déconnectée du terrain.

Une loi qui date d’un autre siècle

Tout part de la loi R-20, adoptée en 1968. C’est cette loi qui a structuré l’industrie, instauré la CCQ (Commission de la construction du Québec) et donné un pouvoir sans précédent aux syndicats. À l’époque, cela répondait à un réel besoin : protéger les ouvriers dans un climat de rapports de force déséquilibrés. Mais aujourd’hui ?

« On est plus dans les années 60. C’est plus la même économie, c’est plus la même situation. »
La loi, toujours en vigueur, impose un modèle figé à une industrie en constante évolution. Simon rappelle que dans les années 60, « il y avait pas assez de jobs pour le bassin d’ouvriers. Aujourd’hui, c’est l’inverse. » Résultat : des employeurs coincés dans un système rigide alors qu’ils peinent à recruter et à fidéliser leurs meilleurs employés.

Un système qui nivelle par le bas

« L’employé qui performe et celui qui se traîne les savates gagnent le même salaire. »
Impossible, dans ce modèle, de récompenser efficacement la compétence ou l’effort. Les employeurs contournent les règles par des “bonus invisibles” – un voyage, des pneus de camion, une pause plus longue – mais l’effet est marginal.

Le message est simple : dans un système où tout le monde est égal, personne ne peut se démarquer. « Ça tire tout le monde vers le bas. »

Trop de règles, pas assez de jugement

L’un des exemples les plus frappants de la vidéo virale de Simon ?
« J’ai reçu un avertissement parce que j’ai demandé à un apprenti de passer le balai. »

Oui, passer le balai. Parce que selon les règles de la CCQ, seul un compagnon qualifié ou un manœuvre peut légalement effectuer cette tâche.

« Même nous, dans le milieu, on comprend plus les règlements. Deux inspecteurs appliquent la même règle de façon différente. »

Le système a atteint un tel degré de complexité qu’il nuit à l’efficacité des chantiers, à la formation réelle des apprentis et à la réduction des coûts pour les consommateurs. Simon n’est pas contre l’inspection : « J’y crois, à la garantie des maisons neuves. Ça, ça inspecte les chantiers. Mais la CCQ et la RBQ, elles inspectent tes papiers, pas ton travail. »

Une industrie sur-bureaucratisée

Un charpentier menuisier coûte 81 $ de l’heure à son employeur, mais ne touche que 54 $ brut. « Il y a 27 $ de l’heure qui disparaissent dans des programmes, des cotisations, des frais divers. »

Parmi eux : une banque d’équipement de sécurité, qui accumule des cotisations pour acheter bottes et casques… au lieu de simplement donner cet argent aux travailleurs.

« Pourquoi on fait pas juste leur donner cet argent-là en paye ? Tout le monde serait d’accord. »

Le problème de la compétence

« C’est pas parce que t’as ta carte de compétence que t’es compétent. »

Simon évoque aussi l’absurdité de l’examen de compagnon : un test écrit à choix multiples. « J’ai des gars brillants manuellement, mais dyslexiques. Ils échouent l’examen trois, quatre fois. C’est ridicule. »
La conséquence ? Des travailleurs qualifiés qui stagnent au rang d’apprenti, sans jamais pouvoir évoluer.

Un chantier hors de prix

Les coûts explosent. Un feu de circulation à Longueuil ? 1 million de dollars.
Des CHSLD à 400 000 $ l’unité, puis 1 million par chambre.

« Il y a des dépassements de coûts absurdes. Et les compagnies ne sont pas pénalisées. »

Simon met aussi en cause le modèle d’appel d’offres : « Plus le projet coûte cher, plus la firme fait de l’argent. C’est un incitatif pervers. »

Et maintenant ?

Simon ne demande pas l’abolition des syndicats, ni une révolution. « Je veux juste qu’on se pose des questions. Qu’on regarde où va l’argent. »
Il propose même une piste de solution concrète pour la grève actuelle :
« Augmenter les salaires dans le résidentiel, mais réduire les charges bureaucratiques. Comme ça, on augmente le revenu net du travailleur sans augmenter les coûts pour les consommateurs. »

Mais pour cela, il faut une vision d’ensemble. Or, « à la table de négociation, y’a juste les syndicats et le patronat. Y’a personne pour représenter l’intérêt public. »

Une parole rare… et nécessaire

Ce qui rend le message de Simon si puissant, c’est qu’il vient de l’intérieur.
« Je suis pas journaliste. Je suis pas politicien. Mais je construis des logements. »

Et c’est peut-être ce qui manque le plus à ce débat : la parole de ceux qui y sont.
« La plupart des gens dans l’industrie veulent pas parler. Ils veulent la paix. Mais on peut pas améliorer ce qu’on refuse de questionner. »

Conclusion : un chantier à ouvrir

Le constat est simple. La construction coûte trop cher, est trop lente, trop rigide, et trop opaque.
Simon Benoît ne demande pas de tout jeter. Il demande simplement qu’on fasse ce que toute industrie saine devrait faire : examiner, questionner, réformer.

« Si on continue comme ça, à 100 $ de l’heure, bientôt 150 $, plus personne va pouvoir s’acheter une maison. Même pas celui qui la construit.

 

- Sous le paillasson

Rien sous le tapis, tout sous la loupe

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