
À l’heure où l’on parle de transition énergétique, d’écoconstruction et de relocalisation des filières, un candidat naturel refait surface discrètement, presque timidement : le chanvre industriel. Cette plante millénaire, qui pousse vite, consomme peu d’eau, régénère les sols et capte le carbone, pourrait être au cœur d’un nouveau modèle agricole et économique. Pourtant, malgré des conditions favorables, le Canada reste à la traîne. Ce texte fait le point sur les promesses du chanvre, les obstacles à lever et les leviers pour bâtir une véritable filière locale.
Le chanvre industriel (Cannabis sativa L., variété à moins de 0,3 % de THC) est une culture aux multiples usages. À partir d’un seul hectare, un agriculteur peut produire de la graine (chènevis) pour l’huile ou l’alimentation, de la fibre longue pour le textile ou les composites, de la chènevotte (le cœur de la tige) pour les blocs de construction ou la litière, du feuillage transformable en compost ou en biomasse, et même des sous-produits techniques comme des bioplastiques. Cette polyvalence unique rend la culture du chanvre bien plus intéressante, sur le papier, que les cultures classiques à usage unique comme le maïs ou le soya.
Pour les producteurs, cette polyvalence pourrait signifier une rentabilité accrue. La culture du chanvre peut générer des revenus dans plusieurs segments simultanément : alimentation, matériaux, construction, textile. À rendement égal, le chanvre pourrait générer entre 1,800 et 3,500 dollars par hectare en revenus bruts si toutes les parties de la plante sont utilisées. C’est largement supérieur à plusieurs cultures céréalières, qui plafonnent souvent autour de 1,000 dollars par hectare. Mais ce potentiel reste théorique si les infrastructures de transformation n’existent pas à proximité.
Et c’est précisément là que le bât blesse. Bien que le Canada cultive déjà du chanvre – notamment pour ses graines et son huile, très prisées dans l’industrie alimentaire – la majorité des tiges, donc des fibres et de la chènevotte, sont gaspillées ou abandonnées. Très peu d’usines de transformation sont en mesure de séparer efficacement la fibre longue et la chènevotte, de les sécher, calibrer et valoriser. La technologie existe – notamment en Europe – mais l’investissement initial est élevé. En conséquence, dans plusieurs provinces, les producteurs laissent la tige se décomposer ou la brûlent après récolte, perdant ainsi 60 à 70 % du potentiel de la plante.
La situation est d’autant plus frustrante que des débouchés concrets existent. La chènevotte, par exemple, peut être mélangée à de la chaux pour former un béton végétal très performant : le chanvre-chaux (ou hempcrete). Léger, isolant, perméable à la vapeur d’eau, ce matériau est reconnu en Europe pour ses qualités thermiques et sa faible empreinte carbone. Il est utilisé aussi bien pour de nouvelles constructions que pour des rénovations de bâtiments patrimoniaux. Mais au Canada, le chanvre-chaux n’est pas encore officiellement reconnu dans le Code national du bâtiment. Cette absence de normes freine son adoption, car les entrepreneurs, assureurs et institutions financières hésitent à prendre des risques avec des matériaux « alternatifs ». Quelques initiatives existent, comme celles de JustBioFiber ou ArtCan, mais elles restent marginales et largement artisanales.
La situation est encore plus problématique dans le domaine textile. Le chanvre possède une fibre longue et résistante qui peut remplacer avantageusement le coton, tout en étant plus écologique. Le coton est une des cultures les plus polluantes au monde, alors que le chanvre pousse avec peu d’eau et sans pesticides. Pourtant, aucune filière textile complète n’existe au Canada. Il n’y a pas d’usine de défibrage à grande échelle, pas de filature industrielle adaptée, et très peu d’expertise locale. Dans les faits, même quand le chanvre est cultivé au Québec ou en Alberta, il est parfois envoyé en Chine pour y être transformé en tissu, puis réimporté. Ce paradoxe fait que le chanvre canadien contribue à des vêtements “écologiques” qui ont en réalité une empreinte carbone catastrophique.
Malgré cela, des solutions commencent à émerger. Des unités de transformation mobiles ou modulaires, comme le système HempTrain, permettent de traiter la plante à petite échelle, sans dépendre d’un silo industriel centralisé. De nouvelles technologies comme la séparation par vapeur ou par ultrasons permettent de nettoyer et calibrer la chènevotte pour l’utiliser dans la construction ou les matériaux biosourcés. Ces approches pourraient permettre à des MRC, coopératives ou groupes de producteurs de créer des micro-filières locales, intégrées et rentables.
Mais au-delà de la technique, les freins sont aussi politiques et institutionnels. Le gouvernement fédéral soutient peu la transformation du chanvre. Les programmes d’aide ciblent rarement ce type de culture, encore perçue comme marginale ou expérimentale. Les normes de construction ne reconnaissent pas les matériaux issus du chanvre. Les formations techniques en transformation textile, biosourcés ou construction écologique sont presque inexistantes dans les cégeps et universités. Et à l’international, le marché est dominé par des géants comme la Chine ou l’Inde, qui bénéficient d’une main-d’œuvre à bas coût et d’un savoir-faire industriel de plusieurs décennies.
Ce constat ne doit cependant pas mener au découragement. Le potentiel est immense, mais il repose sur une logique d’intégration locale. Pour que le chanvre devienne une vraie alternative, il faut reconstituer toute la chaîne, du champ au produit fini. Cela passe par la mise en place de petites unités de transformation, le soutien à l’innovation, l’ouverture des marchés publics aux matériaux biosourcés, la création de normes claires, et la formation d’une relève technique et entrepreneuriale. Il faut aussi favoriser la coopération entre agriculteurs, transformateurs, chercheurs et artisans pour créer des écosystèmes territoriaux.
Dans un Québec ou un Canada qui parle de relocalisation, d’écoconstruction et de souveraineté alimentaire, le chanvre pourrait devenir un symbole d’un nouveau modèle. Un modèle où une plante oubliée devient l’axe d’une économie régénératrice, propre, et ancrée dans le territoire. Encore faut-il cesser de la traiter comme une curiosité marginale.
Sous le bitume, il y a la chènevotte. Il est temps de lui faire une place.
Auteure: Maria Adams Lewis
Co-auteur: IA Chat GPT 4.5
Sources :
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Agriculture et Agroalimentaire Canada – Chanvre industriel : https://agriculture.canada.ca/
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Fédération interdisciplinaire de l’industrie du chanvre (FIHOQ) – rapports 2023-2024
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JustBioFiber – solutions de construction en chanvre : https://justbiofiber.com/
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HempTrain Decortication System – Canadian Greenfield Technologies
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IsoHemp (Belgique) – documentation technique sur les blocs de chanvre
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Hempearth et ArtCan – chanvre-chaux au Canada
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European Industrial Hemp Association (EIHA)
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"Canada’s Industrial Hemp Industry: A Value Chain Analysis", Agriculture and Food Council of Alberta
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Code national du bâtiment du Canada – NRC Publications
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