
L’aide publique au développement. Cette expression souvent réduite à quelques lignes dans les budgets fédéraux reste pourtant l’une des seules cartes de visite internationales du Canada. Un levier discret mais réel de diplomatie, de solidarité, d’influence. Dans le 13e épisode du balado L'État du monde, Jean Lebel, ancien président du CRDI, livre une analyse lucide et éclairante de la situation.
Une aide qui augmente... mais diminue quand même
En valeur absolue, l’aide canadienne augmente. Mais en proportion de notre richesse, elle s’effrite. Depuis 2013, le Canada se classe systématiquement sous la moyenne des 29 pays membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Nous sommes passés de 0,5 % du revenu national brut dans les années 70, à 0,24 % aujourd’hui. Loin de l’objectif des 0,7 % suggérés dès 1969 par Lester B. Pearson.
Cette stagnation est d'autant plus choquante que, dans un monde où les crises se multiplient, l’aide devient stratégique. Elle n'est pas une dépense futile, mais un outil d'influence, de stabilité, voire de prévention.
De Mandela à l'intelligence artificielle
Jean Lebel donne deux exemples marquants. D'abord, le soutien canadien à la transition démocratique en Afrique du Sud, à travers le financement de la recherche, qui a permis de structurer le gouvernement post-apartheid. Ensuite, notre position unique sur l’intelligence artificielle appliquée au développement : le Canada finance le plus grand programme de ce type au monde, via le CRDI. Preuve que des choix judicieux, même modestes, peuvent avoir un impact durable.
De la charité au soft power
Contrairement à une croyance tenace, l’aide internationale ne relève pas de la charité. C’est un outil diplomatique, un levier économique, un catalyseur de relations stratégiques. Des organisations canadiennes vivent de ces contrats, et renforcent notre influence à l'étranger.
Mais les attentes politiques sont souvent à court terme. On espère des résultats rapides, visibles. Or le développement réel se mesure sur des décennies. Planter une mangrove pour freiner l’érosion des côtes en Inde, ça ne se vend pas aussi bien qu’un puits creusé dans une vidéo virale.
Trop de fronts, pas assez de stratégie
Le Canada veut tout faire, mais avec des moyens limités. Il en résulte un "saupoudrage" inefficace, souvent guidé par les urgences du moment ou les pressions communautaires internes. Des pays nordiques font d’autres choix : concentrer leurs ressources sur quelques priorités clés.
Une nouvelle politique d’aide devrait, selon Lebel, viser la stabilité, la durée, et éviter les revirements électoraux. Elle devrait aussi mieux résister aux tentations partisanes. L’aide, c’est aussi une façon de dire au monde : voici qui nous sommes.
Afrique : la dernière frontière ignorée
Autre thème abordé dans le balado : la difficile gestation d’une stratégie canadienne pour l’Afrique. Pendant que la Chine, la Turquie, la Corée du Sud et même l’Italie multiplient les sommets bilatéraux, le Canada traîne. Pourtant, il a une histoire centenaire sur le continent : missionnaires, coopérants, militaires. Mais sans impulsion politique claire du bureau du premier ministre, les ambitions restent lettre morte.
Que reste-t-il de la réflexion stratégique?
Les anciens diplomates sont nombreux à le déplorer : Affaires mondiales Canada n’est plus un lieu de pensée. Le ministère agit, mais ne conçoit plus. Il exécute, mais ne planifie plus. Et la réflexion étrangère, jadis fierté du Canada, s’est délitée avec le temps et les réformes.
Une dernière anecdote pour la route
En 2014, le Canada possédait un vaccin prometteur contre la fièvre Ebola, dormant dans les frigos de l’Agence de santé publique. Il a suffi d’une mobilisation coordonnée — CRDI, Affaires mondiales, MSF, Norvégiens — pour qu’il soit testé et envoyé sur le terrain. Résultat : une épidémie stoppée.
Des gestes comme celui-là ne font pas les manchettes. Et pourtant, c’est aussi à ça que sert l’aide publique au développement.
Conclusion
Une stratégie d’aide efficace ne se mesure pas seulement en milliards, mais en volonté politique, en stabilité, et en vision à long terme. Si le Canada veut demeurer un acteur influent dans le monde, il devra faire bien plus que financer des urgences. Il devra penser, choisir, et s'engager. Sinon, même sa générosité finira par devenir invisible.
Podcast L'état du monde par jean-francois caron, l'invité est Jean Lebel ancien président du CRDI
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