Le théâtre de l’absurde post-colonial

Publié le 29 mai 2025 à 07:24

« Je voudrais reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin Anishinaabeg »

C’est par ces mots que le roi Charles III aurait pu – dans un sketch de RBO ou une pièce d’Ex Machina – ouvrir un hypothétique discours du Trône au Canada. Un monarque britannique, chef d’État symbolique d’un pays né de la conquête, qui reconnaît à voix haute que le territoire sur lequel il parle n’a jamais été cédé par ceux qui l’habitaient avant l’arrivée de ses ancêtres. On touche là à une forme très raffinée de théâtre de l’absurde.

Mais ce n’est pas une farce. Ce genre de déclaration, auparavant confinée aux commissions universitaires et aux colloques militants, est désormais une routine diplomatique, une phrase d’apparat débitée avant chaque événement public au Canada – du gala culturel au match de hockey junior.

Or, lorsque c’est le roi d’Angleterre lui-même qui le prononce, le paradoxe devient vertigineux.

Une reconnaissance qui ne change rien

À force de répéter cette phrase, on pourrait croire qu’elle engage quelque chose. Pourtant, reconnaître qu’un territoire n’a jamais été cédé, sans en tirer la moindre conséquence concrète, c’est aussi vide que solennel. Le Canada continue de percevoir les taxes, d’exploiter les ressources naturelles, de bâtir des pipelines, de légiférer comme si ce territoire avait été cédé.

Ce qui est non cédé devient alors non reconnu dans les faits. Le pouvoir reste entre les mains de la Couronne, fût-elle aujourd’hui "constitutionnelle" et "symbolique".

Un roi sans royaume… mais avec des terres

Le roi Charles III, en tant que souverain du Canada, est aussi le titulaire légal de vastes portions de terres dites « de la Couronne » – une fiction juridique héritée de l’époque coloniale. Il est le symbole d’un pouvoir qui n’a jamais été officiellement remis en question, même si on s’amuse à le vider de son contenu.

Alors quand ce roi, héritier d’un empire qui a bâti sa richesse sur la dépossession des peuples autochtones, s’incline poliment devant une vérité historique qu’il ne remettra jamais en cause… on frôle l’insulte déguisée en civilité.

Le Canada, pays schizophrène

Le discours du Trône, censé ouvrir une session parlementaire et refléter les priorités du gouvernement, devient alors un moment de schizophrénie politique :
– On reconnaît que la terre n’a jamais été cédée,
– Mais on continue d’y imposer des lois,
– D’y faire appliquer la justice canadienne,
– Et d’y faire respecter la Couronne.

Le geste est élégant, certes. Mais il devient grotesque quand il est fait par celui-là même qui incarne l’ordre colonial d’origine. À ce rythme, on pourrait aussi imaginer un PDG de compagnie pétrolière déclarer : « Je reconnais que je suis en train de détruire l’environnement. » Est-ce que cela suffit à en faire un geste vertueux ?


Conclusion :

Tant que les reconnaissances ne seront pas suivies d’un véritable transfert de pouvoir, de terres ou d’autonomie, elles resteront ce qu’elles sont : un rituel symbolique, presque religieux, qui rassure les consciences tout en maintenant le statu quo.

Quand un roi reconnaît qu’il règne sur une terre non cédée, ce n’est pas un progrès. C’est une contradiction incarnée. Et dans cette contradiction, c’est tout le Canada officiel qui continue de s’enfoncer.

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