
Ce que le gouvernement du Québec exige aux municipalités avec son programme Accélérer la transition climatique locale (ATCL) dépasse largement les capacités techniques de la majorité des administrations locales. Le cœur du programme repose sur un inventaire complet des émissions de gaz à effet de serre (GES) — une tâche ardue, hautement technique, et terriblement exigeante en temps… mais qui est pourtant imposée aux petites municipalités déjà à bout de souffle.
« Ils demandent aux municipalités de calculer ça. Ils savent très bien que nos directeurs généraux n'ont pas cette formation-là », affirme Luce Daneau, mairesse de Wickham. « C’est pas l’urbaniste, c’est pas l’agent de bureau, c’est pas le réceptionniste, ni nos cols bleus. »
Dans les faits, pour répondre aux exigences du guide méthodologique de 53 pages, il faudrait un expert en environnement, en comptabilité énergétique et en logistique. Or, dans de nombreuses municipalités du Québec, le personnel administratif se résume à une seule personne et demie. Et pourtant, le programme exige de calculer avec rigueur les émissions de chaque véhicule municipal, l’énergie utilisée pour chauffer les bâtiments, l’usage de l’éclairage public, et même des éléments nébuleux comme les « émissions fugitives » des systèmes de réfrigération ou de climatisation.
« Je ne sais même pas quel CV il faut pour pouvoir faire ça. C’est un scientifique ? C’est qui qu’on engage ? »
La tâche ne s’arrête pas à l’analyse technique. Il faut mobiliser le personnel en place pour aller chercher les données. Combien de litres d’essence consommés par la déneigeuse ? Combien de kilowatts pour chauffer le centre communautaire ? Quels équipements roulants sont utilisés par les cols bleus ? Et tout cela, sans outils préexistants, dans des environnements souvent encore papier.
« Ce que ça va devoir faire, c’est mobiliser notre personnel pour répondre aux questions, chercher, fouiller dans les livres. Et pendant ce temps-là, qui répond au comptoir ? »
Luce Daneau évoque le cas d’une municipalité voisine où la directrice générale est aussi greffière, trésorière, et responsable des finances, tout en accueillant les citoyens. Lorsqu’elle devra produire l’inventaire GES, c’est tout le reste de l’administration qui devra s’arrêter.
Et ce n’est que la première étape. Une fois l’inventaire produit, il faudra fixer des cibles, et revenir périodiquement évaluer les progrès. Bref, ce ne sera pas un mandat ponctuel, mais bien l’ajout d’une charge permanente, qui impliquera probablement l’embauche d’un poste supplémentaire… syndiqué.
« On nous dit que ça coûte rien, mais c’est faux. C’est le contribuable qui paie. Et quand la subvention finit, le poste reste. »
Ce qui choque le plus la mairesse, c’est l’impression d’avoir été piégée administrativement. On lui a présenté la mesure comme une obligation légale, ce qui n’est pas le cas. Après vérification auprès d’un agent de liaison gouvernemental, elle confirme :
« Ce n’est pas une loi. C’est une orientation. Mais on nous fait comprendre que si on ne suit pas, on sera la seule municipalité à ne pas embarquer. »
Autrement dit, la contrainte n’est pas juridique, elle est politique et sociale. Et dans le climat actuel, refuser une orientation verte, même irréaliste, peut coûter cher en capital symbolique.
« Je ne suis pas contre les bonnes idées. Mais il faut être capables de les réaliser sans sacrifier l’essentiel. Nos ponceaux s’effondrent, nos routes sont à refaire, nos stations d’épuration sont dépassées. On nous demande de jouer aux experts en climat pendant que nos citoyens attendent des réponses pour des problèmes bien concrets. »
Dans un Québec où les municipalités sont officiellement reconnues comme des "créatures du provincial", le programme ATCL illustre bien ce déséquilibre grandissant : les responsabilités s’accumulent, mais les moyens ne suivent pas. Ce sont souvent des fonctionnaires épuisés, mal formés pour ces nouveaux mandats, qui doivent « improviser » une expertise qu’ils n’ont jamais revendiquée.
Et si le climat est une cause noble, encore faut-il qu’elle soit portée par les bons leviers.
« C’est pas aux villes de gérer le climat. Qu’on nous redonne notre autonomie pour gérer ce qu’on connaît : les routes, l’eau, les citoyens. »
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