
La prescription d’antidépresseurs connaît une hausse soutenue au Québec comme ailleurs au Canada. Selon les plus récentes données d’IQVIA, les unités d’antidépresseurs dispensées dans les pharmacies communautaires canadiennes ont augmenté de 26 % entre 2019 et 2023, atteignant un total de 2,57 milliards de comprimés. Le Québec dépasse même cette moyenne nationale avec une hausse de 28 % sur la même période, totalisant à lui seul 617 millions d’unités distribuées l’an dernier. Cette augmentation ne touche pas uniquement les adultes : elle est particulièrement marquée chez les jeunes. Chez les 12 à 17 ans au Québec, la proportion de jeunes prenant des antidépresseurs est passée de 1,1 % en 2019 à 4,3 % en 2023. Chez les 18 à 24 ans, elle a doublé, passant de 5,8 % à 12,4 %. Ces chiffres interpellent.
La pandémie de COVID-19 a agi comme catalyseur, mais elle n’est pas seule en cause. Déjà, la santé mentale des jeunes était fragilisée, et la crise sanitaire n’a fait qu’exacerber les tensions. Une étude citée par Statistique Canada montre que la proportion de jeunes de 12 à 17 ans qui évaluent leur santé mentale comme "mauvaise" a plus que doublé depuis 2019. L’école, les réseaux sociaux, les attentes familiales et la précarité sociale forment un cocktail explosif qui déborde aujourd’hui dans les pharmacies.
Ce glissement vers une solution pharmacologique systématique interroge. D’un côté, on pourrait y voir un meilleur accès aux soins et une déstigmatisation de la dépression. De l’autre, la rapidité avec laquelle certains professionnels prescrivent ces traitements – parfois sans suivi psychologique réel – soulève des questions éthiques. Santé Canada recommande d’ailleurs une surveillance étroite des jeunes en début de traitement, les risques de pensées suicidaires étant plus élevés dans les premières semaines de prise d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS).
Parallèlement à cette montée des antidépresseurs, l’ensemble des prescriptions médicales est aussi en forte progression. En 2024 seulement, les pharmaciens québécois ont prescrit plus de 1,1 million de médicaments, une hausse de 14 % par rapport à l’année précédente. Ils ont aussi prolongé 1,7 million d’ordonnances, en hausse de près de 20 %. Et selon la RAMQ, les pharmaciens ont modifié environ un million de traitements en 2024, soit une augmentation de plus de 50 %. Ce phénomène s’explique en partie par l’élargissement du champ d’intervention des pharmaciens, mais aussi par la complexification croissante des traitements, les ruptures d’approvisionnement, et une population de plus en plus médicalisée.
Devant cette situation, plusieurs acteurs du réseau de la santé lancent un appel au public : aidez-nous à vous aider. L’Ordre des pharmaciens du Québec recommande ainsi aux patients de renouveler leurs prescriptions au moins 48 heures à l’avance, de remettre leurs ordonnances dès qu’ils sortent de l’hôpital, et de s’informer sur ce que les pharmaciens peuvent — et ne peuvent pas — faire. Il ne s’agit pas de ralentir le système, mais de le rendre plus fluide dans un contexte où les ressources humaines sont limitées.
La multiplication des prescriptions, en particulier d’antidépresseurs, traduit donc un double mouvement : celui d’une population fragilisée et d’un système de santé qui s’ajuste comme il peut. Mais au-delà des chiffres, c’est la question du sens qu’il faut poser : dans quelle société vit-on pour qu’un nombre croissant de jeunes aient besoin de psychotropes pour traverser l’adolescence ? Et comment construire un système de soin capable d’offrir autre chose que des comprimés à avaler deux fois par jour ?
Sources principales : IQVIA Snapshot 2023, RAMQ, Statistique Canada, Santé Canada, La Presse, Le Devoir.
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