Le Linceul de Turin : entre science, foi et mystère millénaire

Publié le 29 juin 2025 à 19:13

Il y a des objets qui défient l’histoire, la science, et même la foi. Le Linceul de Turin en est l’exemple le plus troublant. Long de 4,36 mètres, ce tissu de lin ancien porte l’image spectrale d’un homme crucifié, avec des blessures qui correspondent en tout point aux récits de la Passion. Serait-ce le linceul du Christ lui-même ? Ou une supercherie médiévale d’une précision si prodigieuse qu’elle échappe encore à toute explication ? Depuis plus de sept siècles, la question hante les historiens, les scientifiques et les croyants.

L’histoire du Linceul remonte selon certains récits au Ier siècle, lorsqu’il aurait été apporté à Édesse, en Mésopotamie, par Thomas ou Thaddée. Là, le roi Abgar V, atteint d’une maladie incurable, aurait été miraculeusement guéri après avoir touché ce tissu sacré. Cette guérison aurait contribué à la conversion du royaume au christianisme. Le Linceul aurait été caché dans les murs de la ville en l’an 57 pour la protéger, puis redécouvert après une inondation en 525. Son pouvoir symbolique aurait même repoussé un siège perse en 544.

À Édesse, une mosaïque appelée le Keramion aurait été réalisée à partir de l’image visible sur le tissu. Cette icône deviendra le prototype de la représentation du Christ dans l’art chrétien, remplaçant les visages inspirés du modèle gréco-romain par un homme sémitique au regard grave. Cette bascule artistique soudaine reste inexpliquée… à moins que le Linceul en soit réellement la source.

En 944, l’empereur byzantin Romain Ier Lacapène fait transférer le Linceul à Constantinople lors d’une opération militaire. Il est conservé dans le trésor impérial et périodiquement exposé lors de cérémonies privées. Mais en 1204, lors du sac de Constantinople par la 4e Croisade, le Linceul disparaît. Détournés de leur mission initiale vers Jérusalem, les croisés pillent la ville chrétienne et s’emparent de nombreuses reliques, dont le Linceul, qui entre alors dans une longue période d’ombre.

Ce sont les fameuses « années manquantes ». Pendant plus de 150 ans, le Linceul ne réapparaît dans aucun document officiel. Certains chercheurs avancent qu’il aurait été gardé secrètement par les Templiers. Une hypothèse troublante, lorsqu’on sait qu’Othon de la Roche, un croisé présent à Constantinople, le transporte peut-être en Grèce avant qu’il n’atteigne la France.

Ce n’est qu’en 1355 qu’il refait surface, lorsque Geoffrey de Charny, chevalier et conseiller du roi Jean II, l’expose au public dans une chapelle à Lirey. Des médaillons de pèlerins sont frappés pour commémorer l’événement, certains ayant été retrouvés à Paris, dans la vase de la Seine. À partir de là, le Linceul suit une route plus claire : vendu à la maison de Savoie en 1464, transféré à Turin en 1578, et finalement légué au pape par Humbert II, dernier roi d’Italie.

Mais c’est la photographie qui va propulser le Linceul dans une toute nouvelle ère de fascination. En 1898, l’Italien Secondo Pia le photographie pour la première fois. Stupeur : l’image se révèle en négatif sur la plaque photographique, révélant un visage d’une intensité presque surnaturelle. À une époque où la photographie en était encore à ses balbutiements, cette découverte suggère une technologie inconnue à l’époque médiévale.

En 1978, une équipe de scientifiques américains du STURP (Shroud of Turin Research Project) réalise une étude approfondie. Ils concluent que le Linceul ne peut être une peinture, ni un bas-relief, ni une technique artistique connue. L’image possède même des propriétés tridimensionnelles que l’on ne retrouve sur aucune autre œuvre.

Pourtant, en 1988, un test au carbone 14 réalisé sur des échantillons du tissu date le Linceul entre 1260 et 1390, en plein Moyen Âge. C’est la stupeur. Mais rapidement, des voix s’élèvent. Les zones testées auraient été prélevées sur des réparations postérieures à un incendie. D’autres avancent que des contaminations environnementales ont pu fausser les résultats. Le débat est relancé. Aujourd’hui encore, il n’existe aucun consensus.

Les médecins et anatomistes, eux, s’interrogent sur la précision des détails : taches de sang, écoulement post-mortem, ecchymoses, perforations aux poignets, coup de lance au thorax. Tout concorde avec les récits évangéliques. L’image, elle, n’est faite ni d’encre, ni de peinture, ni de brûlure. Certains parlent d’un phénomène encore inconnu, d’un transfert d’énergie, d’un flash lumineux… ou d’un miracle.

Le Linceul défie également les lois de la conservation. Comment un tissu aussi ancien aurait-il pu survivre près de 2000 ans ? Certains évoquent un environnement anoxique, d’autres un soin méticuleux à travers les siècles. Il a été examiné par le biologiste Yves Delage dès 1902, qui conclut que l’image ne peut être peinte. Pourtant, ce savant était agnostique. Son témoignage résonne encore aujourd’hui comme une énigme scientifique non résolue.

Même sa propriété continue de susciter des débats. Vendu, transmis, légué, mais jamais réclamé, le Linceul est désormais la propriété du Vatican. Il reste conservé dans la chapelle royale de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin, exposé seulement lors d’occasions exceptionnelles. Et pourtant, chaque fois qu’il est montré, des millions de personnes affluent.

Le Linceul de Turin ne livre pas ses secrets. Mais il impose le respect. Par sa beauté, par son mystère, par sa résistance au temps et à l’explication. Il est un miroir tendu à l’humanité : que croyons-nous voir, et que voulons-nous croire ? Dans ce lin froissé par les siècles se joue peut-être une autre crucifixion — celle de notre besoin de certitude dans un monde fait d’ombres, de foi… et de silence.

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