
Dans un long entretien au podcast Sans Filtre, Olivier Bernard – alias Le Pharmachien – revient sur sa série documentaire Dérive, et plus particulièrement sur la saison consacrée à la maladie de Lyme. Pas celle que tout le monde reconnaît – la piqûre de tique, les symptômes clairs, le traitement antibiotique de quelques semaines. Non, celle qui divise, celle qu’on appelle Lyme chronique, celle qui s’est transformée, au fil des années, en terrain miné, en marché lucratif, et en drame humain.
Dès les premières minutes, on sent Olivier encore ébranlé. Son balado a provoqué une onde de choc. Les témoignages affluent. Certains le remercient. D’autres, troublés, remettent en question tout leur parcours médical. Un petit nombre, plus vindicatif, lui prête des intentions qu’il n’a jamais exprimées. Car contrairement à ce que répandent certains groupes en ligne, Olivier Bernard ne nie pas la souffrance des patients. Il ne dit pas que « c’est dans leur tête ». Ce qu’il questionne, avec rigueur et prudence, c’est ce que les traitements censés soulager ces gens leur infligent au nom d’un diagnostic incertain.
Ce qu’il met en lumière est alarmant. Des patients convaincus d’être atteints de Lyme chronique prennent des cocktails d’antibiotiques pendant des mois, voire des années. Certains en sont à leur 14e année de traitement. Et Olivier, pharmacien de formation, ne mâche pas ses mots : ce n’est pas seulement inutile, c’est potentiellement destructeur. Il rappelle que même dans les infections les plus graves, on donne rarement plus de 14 jours d’antibiotiques. Allonger les traitements sans preuve claire de persistance bactérienne, c’est exposer des organismes affaiblis à une cascade d’effets secondaires, parfois irréversibles.
Mais le cœur de la série n’est pas une croisade contre des médecins. C’est une plongée dans l’errance médicale. Celle de gens qui, après des années de fatigue inexpliquée, de douleurs diffuses, de brouillard mental, se sont retrouvés sans réponse, ni soutien. Ballottés d’un spécialiste à l’autre, incapables de mettre un mot sur leur mal. Jusqu’au jour où quelqu’un leur dit : « Vous avez le Lyme chronique. Et je peux vous aider. » Ce diagnostic devient alors une bouée. Enfin, une explication. Enfin, un plan d’action. Peu importe s’il repose sur des tests de laboratoires privés non validés. Peu importe si les traitements proposés sont empiriques. L’essentiel, c’est qu’on les prend au sérieux. Qu’on les écoute.
C’est là que se glisse l’ambiguïté. Entre l’empathie sincère de certains médecins et la récupération commerciale d’un créneau de détresse, il y a toute une industrie. Olivier évoque les États-Unis, où le Lyme chronique est un marché de plusieurs milliards. Il évoque aussi, sans les nommer, certains chercheurs omniprésents, puissants, influents, dont les travaux servent à justifier des approches thérapeutiques non reconnues, voire dangereuses. Il parle de cliniques qui exploitent les zones grises de la médecine pour prescrire, à prix fort, des traitements non éprouvés. Et il parle de ces patients qui, au bout du rouleau, y croient, parce qu’ils n’ont plus d’autre choix.
Il y a des passages troublants. Comme ce moment où Olivier explique que plusieurs patients interviewés pour Dériveétaient convaincus d’avoir consenti à leur traitement de manière éclairée. Mais lorsqu’ils entendent dans le balado que les tests proposés aux États-Unis ne sont pas reconnus, que les laboratoires ne sont pas accrédités, que les traitements qu’ils reçoivent n’ont pas de fondement scientifique, un vertige s’installe. Ils découvrent qu’on ne leur avait montré qu’une moitié de la médaille. Que leur « consentement éclairé » ne l’était peut-être pas tant que ça.
On comprend alors le phénomène de dissonance cognitive. Ce moment où deux réalités s’entrechoquent, sans se réconcilier. Est-ce mon médecin qui a tort ? Est-ce Olivier Bernard ? Pourquoi personne ne m’a jamais dit ça ? Qui dit vrai ? Et pendant ce temps, la douleur est toujours là.
Ce que Bernard propose, ce n’est pas de nier la souffrance. C’est de la sortir de la logique du tout ou rien. De reconnaître que certains patients ont peut-être d’autres maladies mal diagnostiquées : sclérose en plaques, lupus, cancer. D’autres souffrent de troubles fonctionnels, de ces connexions erronées entre le corps et le cerveau qui provoquent des douleurs bien réelles, sans lésion visible. Et certains vivent avec des troubles de santé mentale, qui eux aussi peuvent se traduire par des symptômes physiques. Il le dit avec pudeur et nuance. Il sait que ces mots sont difficiles à entendre. Il sait aussi que dans l’état actuel des connaissances, c’est la piste la plus probable pour expliquer une partie des cas.
Mais alors, pourquoi si peu de journalistes se sont penchés sur le sujet ? Pourquoi a-t-il fallu qu’un vulgarisateur, et non un grand média, prenne sur lui de fouiller cette affaire ? Olivier ne cache pas sa frustration. Il n’est pas journaliste d’enquête. Ce qu’il a découvert – et dont il n’a montré, selon lui, que 20 à 25 % – aurait dû faire l’objet d’investigations beaucoup plus poussées. Mais rien. Silence. Complexité, peur des représailles, manque de temps ? Peut-être un peu tout ça. Et pendant ce temps, les traitements se poursuivent. Les labos prospèrent. Et les patients souffrent.
À travers son récit, une figure revient : celle d’Amir Khadir. L’ancien député, médecin lui-même, devenu l’un des défenseurs du diagnostic de Lyme chronique. Bernard l’interroge longuement dans le balado. Leur échange est tendu, mais respectueux. Tous deux partagent les mêmes valeurs humaines. Tous deux dénoncent l’errance médicale, le mépris, le manque d’écoute. Mais là où Olivier plaide pour une approche fondée sur les données probantes, Khadir maintient que ce qu’il fait est juste. Et qu’il n’a rien à se reprocher. Ce décalage, cette fracture entre deux visions du soin, laisse le balado suspendu dans une ambiguïté glaçante.
La conclusion d’Olivier Bernard est claire, mais inconfortable. Tant que le système de santé ne proposera pas une vraie prise en charge aux patients en errance médicale – une équipe interdisciplinaire, des consultations longues, une écoute réelle – ces patients continueront d’être happés par des discours alternatifs. Pas nécessairement parce qu’ils sont crédules, mais parce qu’ils sont seuls. Et qu’un diagnostic faux, parfois, fait moins peur que l’absence de réponse.
Ce n’est donc pas une guerre entre science et croyance. C’est une bataille entre la complexité et le vide. Et tant que ce vide ne sera pas comblé, l’industrie du Lyme chronique continuera de prospérer.
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