
« Les Suisses, à force de ne pas être malins, finissent par nous enterrer tous. » Cette phrase à demi-rigolarde de Charles Gave, prononcée dans La Matinale Tocsin, cache un constat implacable. Alors que la France s’endette pour faire tourner un État obèse, que les États-Unis impriment du dollar à perte pour maintenir la fiction impériale, la Suisse, elle, imprime du franc… pour acheter Amazon. Littéralement. Et selon Charles Gave, « ça ne leur coûte rien ».
Il faut comprendre la logique derrière cette affirmation qui, au premier abord, paraît absurde. Le franc suisse est perçu comme une valeur refuge. En période d’incertitude ou d’effondrement monétaire, les investisseurs internationaux se ruent dessus. Mais comme les étrangers ne peuvent pas facilement ouvrir un compte bancaire en Suisse, ils achètent des billets physiques de franc suisse, qu’ils stockent dans des coffres. « Ils achètent des billets, et ces billets ne bougent pas. Ils ne créent aucune inflation, parce que leur vélocité monétaire est nulle », explique Gave. Résultat : la Banque nationale suisse (BNS) crée de la monnaie – elle imprime littéralement des francs – en échange de devises étrangères qu’elle reçoit des acheteurs.
Mais au lieu de laisser ces devises dormir, comme le ferait une banque centrale ordinaire, la BNS les investit dans des actifs de très haute qualité. Elle achète des actions de multinationales américaines comme Amazon, Apple, Microsoft, ou des obligations bien notées. « La BNS s’est constitué un portefeuille de 400 milliards de dollars d’actions, et ça ne lui a rien coûté. Rien. C’est extraordinaire. » En d’autres termes, elle transforme une demande extérieure de sa monnaie en un fonds souverain officieux, alimenté non pas par le pétrole ou la fiscalité, mais par la confiance internationale dans la stabilité helvétique.
Ce modèle fonctionne car les francs imprimés n’entrent pas dans l’économie suisse : ils ne financent pas des déficits, ne créent pas de bulle immobilière, ne rémunèrent pas des fonctionnaires inutiles. Ils dorment dans des coffres, pendant que la BNS fait fructifier l’argent des autres. « Ils ont réussi à faire un fonds souverain… en imprimant de la monnaie que personne n’utilise. C’est comme si vous imprimiez des billets de Monopoly, qu’on vous donnait des dollars en échange, et que vous achetiez Amazon avec. »
Il ne s’agit pas d’un coup de génie accidentel, mais d’une stratégie cohérente, patiente, enracinée dans une culture économique fondée sur la discipline budgétaire, la neutralité politique et la souveraineté monétaire. La Suisse n’a jamais voulu dominer le monde. Elle s’est contentée de défendre ses intérêts – et en cela, elle montre un exemple à suivre. « La Suisse, c’est le seul pays qui a compris que le capitalisme, c’est d’abord produire de la valeur, ensuite gérer l’épargne. Pas l’inverse. »
Pendant ce temps, la France perd 22 milliards avec EDF, alors qu’elle est l’un des producteurs d’électricité les moins chers au monde. Les États-Unis, eux, s’enfoncent dans un capitalisme de connivence où la santé et la défense servent à recycler les déficits. L’Europe réglemente jusqu’à la paralysie, tandis que la BNS, elle, achète des actions américaines en silence, avec une monnaie que tout le monde veut mais que personne n’utilise. Résultat : pas d’inflation, pas de dette, et une réserve de valeur nationale plus stable que l’euro, le dollar ou le yen.
« C’est extraordinaire, et c’est exactement ce que nous, on refuse de faire », conclut Gave. Refus de sobriété, refus de discipline, refus de souveraineté. Et quand la prochaine crise de la dette éclatera en Europe, les Suisses, comme toujours, auront déjà tourné la page – en empochant les dividendes.
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