
André Chieng ne parle ni comme un militant, ni comme un diplomate. Il s’exprime comme un témoin informé, entre deux mondes. D’origine chinoise, né en France, formé à Polytechnique, il a conseillé des entreprises françaises et travaillé avec des responsables chinois pendant des décennies. Il connaît les deux logiques — et constate surtout leur incommunicabilité.
« Nous projetons sur la Chine nos propres obsessions, comme la liberté individuelle, alors qu’elle n’est pas vécue de la même manière là-bas. »
Son propos n’est ni une défense du régime de Xi Jinping, ni une charge contre l’Occident. Il nous invite à changer d’angle, à comprendre la Chine selon ses propres catégories.
1. La Chine n’est pas l’URSS
L’une des erreurs les plus courantes selon Chieng, c’est de comparer la Chine à l’URSS ou de croire qu’elle veut exporter son système.
« La Chine n’a jamais eu vocation à exporter son modèle. »
« La Chine ne veut pas devenir une puissance dominante. Elle veut être respectée. »
Là où l’Union soviétique cherchait la révolution mondiale, la Chine actuelle cherche l’autonomie, le respect et une influence proportionnelle à son poids réel.
Elle ne veut pas imposer son modèle, mais résister à l’imposition du nôtre.
2. Histoire longue et mémoire blessée
Pour comprendre la Chine, il faut remonter très loin. Des millénaires d’unité sous autorité centrale, puis une période d’humiliation au XIXe siècle : guerres de l’opium, traités inégaux, envahisseurs japonais.
« Pendant 2 000 ans, la Chine a été le pays le plus riche, le plus avancé, le plus peuplé du monde. »
« La mémoire de l’humiliation coloniale est encore très présente en Chine. Elle structure le rapport au monde. »
Cette mémoire nourrit un besoin de rattrapage et de fierté retrouvée. C’est la base psychologique du projet chinois contemporain.
3. Le Parti, non pas par amour, mais par efficacité
« Le Parti communiste est vu par beaucoup comme un garant de stabilité, pas comme un oppresseur. »
Chieng insiste : ce n’est pas que les Chinois aiment leur régime. C’est qu’ils le jugent utile.
Dans un pays aussi vaste et inégal, le Parti représente une colonne vertébrale :
organisation, efficacité, ordre. Surtout dans les campagnes.
« La plupart des Chinois ne se sentent pas opprimés. Ils se sentent encadrés. »
« Il y a une méritocratie à l’intérieur du Parti. C’est une organisation qui sélectionne les plus compétents. »
4. Deux visions du monde incompatibles
« Nous voulons appliquer nos catégories (liberté, démocratie, droits de l’homme) à un pays qui ne les pense pas de la même façon. »
L’Occident place l’individu au centre. La Chine valorise l’harmonie collective. La liberté n’y signifie pas la même chose.
« L’Occident veut imposer un modèle universel. La Chine veut simplement qu’on la laisse tranquille. »
« L’idée de nation, chez les Chinois, est beaucoup plus ancienne et enracinée que chez nous. »
Dans cette logique, le désordre est perçu comme une menace, la stabilité comme une condition de la liberté.
5. Innovation, saut de grenouille et souveraineté technologique
« Le saut de grenouille est une stratégie : ils ne passent pas par l’essence, ils vont directement à l’électrique. »
La Chine veut dépasser ses retards en sautant directement aux technologies de demain :
voitures électriques, IA, semi-conducteurs, télécommunications.
« Huawei investit plus en R&D que la plupart des entreprises occidentales. »
« L’innovation est une priorité absolue pour Xi Jinping. Il en parle dans tous ses discours. »
Elle forme plus d’ingénieurs chaque année que l’Europe et les États-Unis réunis.
« L’objectif de la Chine est clair : ne plus dépendre de l’Occident technologiquement. »
6. Un monde multipolaire assumé
« Il n’y aura pas de guerre froide avec la Chine. Mais il y aura un affrontement culturel et symbolique. »
La Chine ne veut pas la guerre, mais ne veut pas non plus de domination occidentale.
Elle assume son modèle, ses priorités, ses rythmes. Et elle entend qu’on le respecte.
« Le monde devient multipolaire. C’est inévitable. Et l’Occident ne sait pas comment s’y adapter. »
7. Le vrai conflit : une guerre des récits
« Le véritable affrontement, ce n’est pas l’armée. C’est le récit du monde. »
La confrontation n’est pas militaire, mais idéologique, culturelle, psychologique.
Qui fixe les normes ? Qui impose les mots ? Quelle vision du monde devient la référence mondiale ?
Conclusion
Vouloir comprendre la Chine ne signifie pas l’aimer ni l’imiter. Cela signifie éviter l’aveuglement.
« Il faut arrêter de vouloir juger la Chine avec nos critères. Ça n’a jamais marché. »
La Chine n’est pas parfaite, mais elle n’est pas folle non plus. C’est un pays pragmatique, obsédé par la stabilité, l’indépendance et la modernisation. Refuser de la comprendre, c’est se préparer à mal y réagir.
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