
Version audio avec narration
Lors de son cours du 29 mai 2024, Jiang Xueqin explique qu'une invasion de l'Iran par les États-Unis serait une erreur catastrophique.
Depuis plus de deux décennies, les tensions entre l’Iran et les États-Unis n’ont jamais cessé de croître. Si les confrontations ont jusqu’ici évité l’affrontement frontal, la structure même des intérêts en jeu laisse présager un basculement possible.
Car derrière les postures diplomatiques se dessine un théâtre d’ombres où convergent des ambitions religieuses, stratégiques, économiques et idéologiques. Et dans ce jeu à somme négative, l’Iran pourrait devenir le terrain où l’Amérique contemporaine découvre les limites de sa propre puissance.
Trois forces qui poussent Washington vers l'affrontement
1. Le lobby pro-israélien
L’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), puissant organe de pression à Washington, défend une ligne dure contre l’Iran. À ses côtés, les Chrétiens Sionistes, emmenés par des figures comme John Hagee, militent activement pour une confrontation armée au nom de convictions eschatologiques.
« Tant que l’Iran existe dans sa forme actuelle, Israël ne sera jamais en sécurité » – Nikki Haley, Hudson Institute, 2023.
2. Wall Street et l'économie de l’Empire
L’économie mondiale reste largement dépendante du dollar. Pour maintenir cette centralité, l’Amérique a besoin de stabilité... ou de chaos contrôlé. Les guerres périphériques permettent de justifier des dépenses militaires, d’alimenter des marchés, et de renforcer l’hégémonie monétaire américaine.
« L’armée américaine ne protège pas le peuple américain. Elle protège le système du dollar » – Michael Hudson.
3. L’Arabie saoudite
Téhéran représente l’ennemi théologique et stratégique numéro un de Riyad. Rivalité régionale, opposition idéologique, menace nucléaire : tout pousse le royaume à favoriser une déstabilisation du pouvoir iranien.
Jared Kushner, lien organique entre les puissances
Gendre de Donald Trump, Jared Kushner a tissé des liens profonds avec Netanyahou comme avec Mohammed ben Salmane. Conseiller influent dans les accords d’Abraham, il est aussi lié au financement saoudien via son fonds d’investissement.
« Ce réseau privé, invisible, est bien plus puissant que de nombreux départements officiels » – Confidences d’un ancien ambassadeur américain au Washington Post.
La doctrine de la démesure : "shock and awe"
Depuis 2003, la doctrine militaire américaine repose sur la rapidité, la technologie et la supériorité aérienne. Les principes classiques – masse, logistique, encerclement – ont été négligés.
Mais cette stratégie suppose un ennemi faible, désorganisé, non étatique. L’Iran, avec ses montagnes, sa population mobilisée et son appareil militaire structuré, ne rentre pas dans ce moule.
« Le jour où nous affronterons un vrai État, notre supériorité sera mise à rude épreuve » – General Mark Hertling, interview à Defense One.
Pourquoi l’Iran est un piège géographique et stratégique
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Montagnes infranchissables : idéales pour les embuscades, hostiles aux blindés.
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Population nombreuse et aguerrie : 90 millions d’habitants.
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Gardiens de la Révolution : structure militaire parallèle, motivée par une idéologie.
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Réseaux de résistance régionaux : Hezbollah, Houthis, milices irakiennes.
« Vous pensez entrer en Iran pour y imposer votre loi ? Vous ne ferez que réveiller une nation millénaire » – Trita Parsi, Losing an Enemy.
L’illusion d’un soulèvement intérieur
Certains stratèges américains rêvent d’un peuple iranien qui accueillerait l’armée américaine comme des libérateurs. Mais cette lecture ignore :
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Le traumatisme du renversement du Premier ministre Mossadegh par la CIA (1953)
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Le souvenir du régime du Shah
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Les images de la guerre d’Irak (2003–2011)
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Le sentiment national et religieux très enraciné
« L’histoire récente de la région montre que les interventions étrangères n’apportent ni démocratie ni stabilité, seulement le chaos » – Arash Azizi.
Trois précédents historiques inquiétants
1. Athènes en Sicile (415 av. J.-C.)
Une armée envoyée loin de ses bases, incapable de se ravitailler, piégée et anéantie. L’expédition précipite la chute de la puissance athénienne.
2. Vietnam
Mission rampante, manque d’objectifs clairs, guerre sans fin. 58 000 morts américains. Une guerre perdue dès le départ.
« Le véritable ennemi, ce n’était pas le Viet Cong. C’était notre orgueil. » – Robert McNamara.
3. Ukraine
Des décisions prises pour l’image plus que pour le terrain. Refus de céder du terrain, contre-offensives suicidaires. Un pouvoir civil obsédé par la communication au détriment de la stratégie.
Un jeu à somme négative : tout le monde veut la guerre… pour des raisons différentes
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Les États-Unis veulent renverser le régime iranien.
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L’Iran veut provoquer une guerre pour galvaniser l’unité nationale et se venger.
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Israël et l’Arabie saoudite espèrent une confrontation mutuellement destructrice entre Washington et Téhéran.
« Le scénario idéal ? Que les deux géants tombent. Et que nous héritions de la région. » – Anonyme, Haaretz.
Et si les États-Unis perdaient cette guerre ?
L’armée américaine, mal préparée au combat prolongé, manquerait :
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De troupes volontaires
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De capacités de ravitaillement en terrain hostile
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D’appui logistique si la mer est verrouillée
Pire : le tissu industriel américain est exsangue. La majorité des composants militaires sont fabriqués à l’étranger, souvent... en Chine.
« L’Amérique n’a plus les moyens logistiques d’une guerre de haute intensité prolongée » – Rapport interne du Pentagone, 2023.
Conclusion : l’Empire face à lui-même
Ce ne serait pas la première fois qu’une superpuissance tombe non pas sous les coups de ses ennemis, mais à cause de son propre aveuglement. L’histoire nous offre des avertissements. Encore faut-il les écouter.
« L’Empire américain, comme tous les empires, tombera le jour où il refusera de voir ses limites. » – Andrew Bacevich, The Limits of Power.
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