
Depuis quelques années, un glissement idéologique majeur se dessine dans le paysage politique canadien. Tandis que le Parti libéral s’enfonce dans une gestion technocratique et centralisée, c’est paradoxalement le Parti conservateur qui semble désormais incarner les valeurs historiques du libéralisme classique : liberté individuelle, responsabilité personnelle, économie de marché, et limitation du rôle de l’État.
Ce renversement idéologique mérite une analyse rigoureuse. Car il ne s’agit pas ici d’une simple stratégie électorale, mais bien d’un réalignement profond des courants politiques dominants au pays.
Le libéralisme classique en bref
Le libéralisme classique, né au XVIIIe siècle avec des penseurs comme John Locke, Adam Smith et Frédéric Bastiat, repose sur quatre piliers essentiels :
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La primauté de la liberté individuelle
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La responsabilité personnelle
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Un État limité, garant de la loi, non gestionnaire de la société
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Un marché libre comme vecteur de prospérité
Au XXe siècle, ces idées ont été revitalisées par des figures comme :
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Friedrich Hayek, auteur de La route de la servitude (1944), qui démontre comment les politiques économiques centralisées mènent inévitablement à des dérives autoritaires.
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Ludwig von Mises, théoricien de l’économie de marché et défenseur du rôle de l'entrepreneur dans une économie libre.
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Milton Friedman, économiste de l’Université de Chicago, prix Nobel, qui militait pour la liberté économique comme condition de la liberté politique.
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Thomas Sowell, économiste et philosophe politique américain, dont les écrits mettent l'accent sur les conséquences involontaires des politiques interventionnistes.
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James Buchanan, fondateur de l’école du Public Choice, démontrant que les gouvernements poursuivent souvent des intérêts propres, pas nécessairement ceux du public.
Ces penseurs ont en commun une conviction profonde : plus l’État s’occupe de tout, moins il protège nos libertés.
Un repositionnement conservateur… libéral?
Aujourd’hui, plusieurs positions centrales du Parti conservateur du Canada s’alignent directement avec cette vision libérale classique :
1. Rejet du dirigisme économique et du capitalisme de copinage
La critique du rôle excessif de l’État dans l’économie, le refus de l’endettement structurel, et la dénonciation des subventions corporatistes rejoignent les avertissements de Hayek et Friedman contre un capitalisme d’État, où l’innovation et la méritocratie sont étouffées par la proximité au pouvoir.
2. Dénonciation de l’inflation monétaire et défense du pouvoir d’achat
Friedman rappelait que « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ». La dénonciation de la création monétaire incontrôlée, des déficits permanents et de l’interventionnisme bancaire rejoint cette tradition critique envers la manipulation étatique de la monnaie.
3. Défense des libertés fondamentales
Les positions en faveur de la liberté d’expression, contre la censure algorithmique ou les lois d’encadrement idéologique, rejoignent le libéralisme classique dans sa méfiance envers tout pouvoir prétendant nous protéger de nous-mêmes.
4. Décentralisation et respect des compétences provinciales
Les conservateurs défendent une forme de subsidiarité, principe selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le plus local possible — exactement ce que Bastiat et Buchanan recommandaient pour éviter les abus de pouvoir à grande échelle.
Le Parti libéral : une rupture avec ses propres fondations?
Historiquement, les libéraux canadiens de Laurier à Chrétien ont défendu ces principes. En 1995, Paul Martin imposait des compressions drastiques pour équilibrer les finances publiques — un acte de courage salué dans le monde entier1.
Mais aujourd’hui, le Parti libéral sous Justin Trudeau a embrassé une logique technocratique où :
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L’État planifie activement l’économie
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Les déficits sont devenus structurels
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L’autonomie provinciale est ignorée
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Les politiques d’ingénierie sociale dominent le débat public
Avec Mark Carney comme figure de rechange, certains espèrent un retour à l’orthodoxie économique. Mais Carney semble plutôt porter une vision néo-keynésienne verte, structurée autour de l’intervention de l’État, de partenariats public-privé et d’objectifs « ESG » — à mille lieues du libéralisme classique de Locke, Friedman ou Hayek2.
Le vrai libéralisme au XXIe siècle?
Les Canadiens qui croient encore en :
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La liberté individuelle comme fondement de la société
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La responsabilité citoyenne comme moteur de cohésion
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Le libre marché comme moteur d’innovation et de prospérité
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L’État modeste, impartial et non moralisateur
…se retrouvent désormais plus proches du courant conservateur actuel, que d’un Parti libéral en pleine mutation. Ce renversement marque une fracture idéologique majeure, mais aussi un réveil philosophique pour ceux qui refusent les dérives paternalistes.
Footnotes
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Gouvernement du Canada, Budget fédéral 1995 – Ministère des Finances : https://budget.canada.ca/1995/ ↩
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Mark Carney, discours COP26 (Glasgow, 2021) : https://www.un.org/en/climatechange/cop26 ↩
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