Revenu universel : liberté garantie ou illusion technocratique ?

Publié le 18 mai 2025 à 19:40

Et si on remplaçait tous les programmes sociaux – allocations, subventions, crédits d’impôt, logement social, etc. – par un simple revenu universel versé à chaque citoyen, sans condition ? L’idée, régulièrement remise à l’agenda par des économistes de droite comme de gauche, mérite qu’on s’y attarde sous l’angle du libéralisme classique : une pensée économique souvent invoquée, rarement appliquée.

Un vieux rêve libéral ?

L’idée d’un revenu de base universel n’est pas nouvelle. On la trouve sous une forme embryonnaire chez Milton Friedman, qui proposait un impôt négatif : un seuil de revenu garanti par l’État, qui diminuerait à mesure que l’on travaille. Le but était de supprimer la bureaucratie coûteuse des programmes sociaux ciblés, d’éviter les trappes à pauvreté, et de rendre la liberté de choix aux individus.

Dans cette logique, le revenu universel devient un outil libéral, non pas pour renforcer l’État-providence, mais pour le déconstruire. Il permettrait de se passer d’un appareil étatique tentaculaire chargé d’évaluer, de contrôler et de distribuer des aides ciblées. Chacun recevrait la même somme, et déciderait librement de la manière de l’utiliser : logement, éducation, alimentation, entrepreneuriat... Le citoyen redevient souverain.

Une base commune, sans pénaliser l’effort

Le modèle d’un revenu universel strictement universel, versé à tous sans condition ni contrepartie, présente un avantage fondamental : il ne décourage pas le travail. Celui qui décide de travailler ou d’entreprendre conserve l’intégralité du fruit de son effort. Il n’y a pas d’effet de seuil, pas de piège à la désincitation, et aucun guichet ne vient interférer dans la vie des individus. En ce sens, un tel revenu peut s’aligner avec les principes du libéralisme classique, fondé sur la responsabilité individuelle, la liberté économique et la réduction du rôle de l’État.

Cependant, cette compatibilité n’est réelle que si le revenu universel se substitue véritablement à tous les autres programmes sociaux. Il ne s’agit pas de créer un revenu supplémentaire, mais bien de simplifier le système existant. Il doit également être financé de manière soutenable, sans recourir à une fiscalité confiscatoire qui pénaliserait le capital ou le travail, au risque d’étouffer les incitatifs productifs.

Quelle admissibilité ? Quel coût ? Quelle protection ?

Se pose ensuite une question fondamentale : à partir de quand devient-on admissible à ce revenu universel ? Est-ce à la naissance, à l’âge adulte, après un certain nombre d’années de résidence ou de contributions ? La définition de ce critère n’est pas anodine, car elle conditionne la soutenabilité économique du système et son acceptabilité sociale. Un revenu universel véritablement inconditionnel, accessible à tout résident dès son arrivée sur le territoire, pourrait en effet devenir un facteur d’attraction migratoire puissant. Dans un contexte mondial de mobilité accrue, il est légitime de s’interroger sur les mécanismes à mettre en place pour protéger un tel filet social d’un usage opportuniste ou déséquilibré.

Par ailleurs, les projections de coûts varient selon le montant envisagé. Pour donner un ordre de grandeur : au Canada, offrir 1 000 $ par mois à chaque adulte coûterait environ 400 milliards de dollars par an, soit presque le double du budget fédéral actuel. Même en supprimant l’ensemble des programmes sociaux existants, un tel système représente un bouleversement fiscal majeur. D’autres modèles proposent des montants plus modestes ou limités aux adultes, mais le défi du financement demeure central. Le revenu universel ne peut être soutenable que s’il est strictement universel, remplaçant toutes les aides existantes, et accompagné d’un régime fiscal stable qui récompense l’initiative plutôt que de la décourager.

Une idée libérale sous condition stricte

Dans sa version la plus épurée, un revenu universel peut convenir à une vision libérale classique s’il garantit à chacun un point de départ identique, tout en laissant la liberté de progresser selon ses efforts et ses choix. En revanche, si ce revenu s’ajoute à l’ensemble des dispositifs sociaux actuels, s’il est financé par des hausses de taxes massives ou s’il s’accompagne de mécanismes de contrôle numérique, il se transforme en instrument technocratique, éloigné des idéaux de liberté.

L’essentiel réside donc dans la cohérence du projet. Il ne s’agit pas simplement de distribuer une somme, mais de repenser la place de l’État dans l’organisation sociale. Un revenu universel libéral n’a de sens que s’il s’inscrit dans une logique de désengorgement de la machine administrative, de restauration de la souveraineté individuelle, et de responsabilisation des citoyens.

Liberté ou dérive technocratique ?

En théorie, le revenu universel peut incarner une révolution paisible du contrat social : moins d’ingérence publique, plus de clarté, une égalité de départ et la possibilité de jouir librement du fruit de son travail. Mais dans la pratique, rares sont les gouvernements qui envisagent ce modèle sous un angle libéral. Le plus souvent, on empile les aides, on ajoute des conditionnalités, on numérise la gestion des allocations, et l’on transforme l’idée initiale en outil de gouvernance opaque.

C’est précisément là que le projet bascule. Sans réforme structurelle de l’État, sans simplification radicale et sans confiance dans la liberté économique, le revenu universel devient un levier de contrôle de plus, et non un instrument d’émancipation.

 


 

Sous le Paillasson — Rien sous le tapis, tout sous la loupe.

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