Dans les coulisses de nos vidanges : réhabiliter les métiers invisibles, une réflexion sur les déchets et la dignité

Publié le 26 mai 2025 à 22:08

Lorsqu'on parle de justice sociale ou d'écologie, on oublie souvent de regarder au fond de nos bacs. Littéralement. L’entrevue de Simon Paré-Poupart, éboueur, sociologue et auteur du livre Vidangeur, nous plonge dans un univers méconnu, trop souvent ignoré, voire méprisé : celui des travailleurs de l’ombre, des « métiers sales », et de notre rapport troublant à la consommation et aux rebuts.

Des métiers essentiels mais invisibles

« S’il n’y a pas de concierge à l’école, les profs n’enseignent pas. S’il n’y a pas de concierge à l’hôpital, les médecins ne peuvent pas soigner. » Cette remarque simple rappelle une vérité brutale : notre système repose sur une armée de travailleuses et travailleurs invisibles, mal reconnus, qui soutiennent la dignité de notre vie collective.

Les éboueurs en sont un exemple frappant. Exposés à des risques physiques réguliers, méprisés dans l’espace public, ils ramassent nos traces, nos hontes, nos excès. « Je me blesse au moins une fois par année, dit Simon, c’est le deal. C’est un métier à risque. Et la société ne veut pas le voir. »

Un miroir de notre consommation

« Le déchet ne ment pas », disait Victor Hugo. Simon le répète avec force : « Je peux savoir si une femme est enceinte, combien de fois t’as baisé, ce que tu manges, ce que tu caches. Le déchet, c’est une extension de soi. »

Notre gestion des déchets est déconnectée de notre responsabilité collective. Le citoyen remplit son bac bleu, satisfait, sans se poser de questions. « On met toute notre énergie mentale à consommer. On en mettrai beaucoup moins à disposer correctement. Mais on ne veut pas le faire. Parce que disposer, c’est affronter nos choix. »

L'économie circulaire qu'on prône si souvent se heurte à la culture du jetable. Amazon colonise nos imaginaires : tout doit être neuf, vite, sans effort. Réutiliser, réparer, attendre ? « C’est devenu un acte de résistance », dit Simon.

L'éthique du rebut : penser le déchet autrement

Simon parle d'« une éthique du déchet ». Ramasser, trier, réparer, ce n’est pas un acte mineur. C’est une manière de refaire société. « Avant, les gens vivaient avec leurs déchets. Aujourd’hui, on veut les faire disparaître. On ne veut plus les voir, plus les sentir. C’est ça le waste management : l’effacement. »

Il appelle à un retour à une forme de dignité dans le rebut. Le modèle de l’écocentre de Saint-Jérôme, qu’il cite avec admiration, montre une autre voie : à la fois lieu de tri, de revente, d’échange et de formation. « C’est un magasin vivant. Tu apportes tes déchets, tu peux acheter ce que d’autres ont jeté. Tu rencontres du monde. C’est solidaire. »

Un savoir ouvrier oublié

« Mon plombier connaissait le pic des ressources. Il savait que le cuivre est stratégique pour la transition énergétique. » Cette phrase souligne ce qu'on perd à invisibiliser les métiers dits manuels : des savoirs pratiques, des savoirs concrets, parfois plus lucides que ceux des salles de conseil.

Simon cite Antonio Gramsci : « Tout ouvrier peut développer une conscience de son travail. » Lui-même, sociologue devenu éboueur, plaide pour la valorisation de cette intelligence du geste. « Moi, j'ai deux bacs et une maîtrise. Mais mon collègue, sans bac, comprend aussi très bien le monde. Il faut cesser de croire que la pensée est réservée à une élite. »

Une classe populaire plus écolo qu'on pense

Simon renverse un préjugé : « Les classes populaires produisent moins de déchets. Ce sont les riches qui jettent plus. Mais on ne le voit pas, parce que leurs rebuts sont dispersés dans de grands espaces. »

La pauvreté impose une forme de sobriété. Moins de voyages, moins d’achats, plus de réparation. « C’est de la décroissance subie, mais c’est souvent plus vert que ce que font certains bobos à coups de Tesla et de quinoa bio importé. »

Un changement de culture urgent

L’enjeu n’est pas technique, mais culturel. Il faut enseigner le déchet dès l’école primaire. Apprendre à trier, à respecter les objets, à prendre soin de ce qu’on consomme. Et surtout, redonner leur dignité à ceux qui prennent soin de nos restes.

Ce n’est pas un combat gauche-droite, rappelle Simon. C’est un enjeu de civilisation. « La surconsommation, ça met tout le monde mal à l’aise. On le sait, mais on veut pas trop y penser. »

Conclusion : donner une noblesse au rebut

La société du jetable a jeté bien plus que des objets : elle a jeté les savoirs, les gestes, les métiers, les humains qui nous permettent de vivre dans un environnement sain. Simon Paré-Poupart nous rappelle que dans chaque bac, il y a une histoire, une biographie, une trace de notre culture. Et que ceux qui les ramassent méritent bien plus que notre indifférence.

Ce sont des sentinelles de notre rapport à la matière. Des mémoires de notre mode de vie. Des penseurs de la poubelle.

Il est temps de les écouter.

 


 

Pour aller plus loin : Simon Paré-Poupart, Vidangeur, éditions XYZ

Entrevue intégrale disponible sur le podcast what's up podcast, épisode avec Simon Paré-Poupart

 

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