
À travers un regard sans concession, il observe ce qu’il appelle une époque de décomposition-recomposition, comparable à la chute de l’Empire romain d’Occident. « Les barbares étaient déjà dans les murs… mais le processus de décomposition fut rapide. Aujourd’hui, tout s’accélère encore davantage. »
Né au cœur du XXe siècle, Despot a vu s'effondrer des piliers de société qu’il croyait inébranlables : « J'ai vu disparaître l'instruction publique telle que je l'ai connue. » Il note que l’esprit civique s’est éteint. L’usage inflationniste du mot « citoyen » serait, selon lui, un cache-misère : « Depuis qu'on dit 'citoyen', c’est parce que le civisme n’existe plus. »
Pour Despot, nos élites actuelles incarnent une forme de bêtise rugissante, une expression qu’il revendique. « L’idiot est le dernier à savoir qu’il est idiot. Et plus il est idiot, plus il se défend bruyamment. » Il voit dans le comportement des dirigeants un aveuglement mêlé de court-termisme, comme s’ils ne croyaient pas à l’existence d’un lendemain : « Ils vivent comme si demain n’existait pas. »
Cette cécité du pouvoir n’est pas nécessairement le fruit d’un complot, affirme-t-il, en se référant à Alexandre Zinoviev : « Est-ce qu’il y a des tireurs de ficelles dans une termitière ? » Pour Zinoviev, et Despot le reprend à son compte, les sociétés s’orientent d’elles-mêmes vers la régression, par simple inertie, attirant à elles les figures les plus médiocres.
La conviction, pourtant souvent brandie comme une vertu, est pour Zinoviev (et donc Despot) un signe de sous-développement intellectuel. Il cite :
« Les convictions ne font que compenser l’incapacité à comprendre la réalité concrète. L’homme à conviction est rigide, dogmatique, assommant, et comme il se doit : stupide. »
Face à ce déclin, Despot évoque la sagesse silencieuse des anciens. Il rend hommage à sa grand-mère, une femme sans diplôme mais dotée d’« une extraordinaire intelligence des êtres et des situations. » Cette sagesse s’oppose à l’arrogance algorithmique contemporaine :
« On empoigne le monde comme on empoignerait un violon avec des gants de boxe. »
Le passage à l’ère numérique, selon lui, a été un véritable coup d’État numérique, notamment au printemps 2020. En s’inspirant de La Stratégie du choc de Naomi Klein, il voit dans la pandémie l’opportunité parfaite pour numériser brutalement le monde. Et il s’appuie sur un auteur oublié mais visionnaire : Theodore Roszak, sociologue de la contreculture. Son livre La Secte numérique (1984) annonce déjà que :
« La technologie prometteuse de l’intelligence artificielle servirait de prétexte pour déléguer le pouvoir humain à des algorithmes. »
Despot démonte le mythe :
« L’intelligence artificielle, si efficace soit-elle, n’est jamais que le perroquet de celui qui l’a programmée. »
Il va plus loin : « Elle reflète l’opinion du Parti démocrate américain, rien de plus. »
Il observe une simultanéité tragique entre l’élévation des machines et l’abêtissement de l’homme. Un croisement inquiétant, que Philip K. Dick avait déjà prophétisé, dans lequel « les robots finiront par avoir plus de profondeur de pensée que les humains ». Mais pour Despot, le plus inquiétant reste l’uniformisation émotionnelle :
« Le diapason des caractères humains est extrêmement appauvri. »
Il s’émerveille au contraire des sociétés dites « sous-développées » :
« Là-bas, l’humanité est encore bariolée, irrationnelle, inquantifiable. Chez nous, nous sommes devenus quantifiables. »
Tout cela mène, dit-il, à une humiliation de l’âme humaine, une glaciation du cœur, une forme d’abolition de l’homme. Il renvoie ici au célèbre essai de C.S. Lewis (1943), qui décrivait une société en train de produire des « hommes sans poitrine », des êtres incapables de savoir par eux-mêmes ce qui est bien ou mal :
« Nous fabriquons des êtres qui ont l’air apathiques, même quand on leur prend tout. »
À la question de savoir si notre société devient anti-humaine, Despot cite à nouveau Roszak, cette fois à travers son roman Flicker : une œuvre paranoïaque décrivant une secte gnostique infiltrée dans le cinéma hollywoodien.
« Les gnostiques veulent éradiquer le monde, jugé comme l’œuvre d’un dieu mauvais. »
Netflix lui sert d’exemple moderne :
« À part quelques perles, la production est devenue franchement anti-humaine, pour ne pas dire satanique. »
Et que veut-il dire par là ? Il précise :
« Satan est l’ennemi du genre humain. Et le plus troublant, c’est que nous collaborons activement à notre propre perte. »
En conclusion
Slobodan Despot n’est ni pessimiste, ni complotiste. Il est lucide. Il cite, il illustre, il alerte. Il cherche à réveiller une mémoire, un sens du concret, une verticalité intérieure qui ne s’apprend pas dans les algorithmes. Son appel est clair : réhabiliter la pensée humaine, la finesse, la mémoire, et surtout la dignité.
« Il y a quelque chose dans la vie de l’homme digne qui ne se négocie pas. Il peut se faire tuer, mais il ne cédera pas ses enfants, sa mémoire, ou sa conscience. »
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