Vacances de la construction : quand tout un Québec lève le pied en même temps

Publié le 20 juillet 2025 à 21:22

Chaque été, au cœur de la belle saison, une pause collective transforme le visage du Québec. Sur les routes, dans les campings, sur les plages ou dans les piscines, des milliers de familles prennent un moment bien mérité : ce sont les fameuses vacances de la construction. Une tradition unique au monde, née d’une nécessité, devenue un symbole profondément ancré dans la culture québécoise.

Tout commence en 1946. Cette année-là, les travailleurs québécois obtiennent enfin une première semaine de vacances payées. Mais une condition vient rapidement en limiter l’accès : il faut avoir travaillé douze mois pour le même employeur. Dans le secteur de la construction, où les contrats sont souvent de courte durée et les changements d’employeurs fréquents, cette règle exclut la majorité des ouvriers. Une injustice flagrante, qui pousse le gouvernement de Maurice Duplessis à tenter une réforme.

La solution proposée à l’époque semble ingénieuse : plutôt que d’accorder des congés payés selon la durée chez un seul employeur, on met en place un système de timbres. Chaque patron doit remettre à son travailleur des timbres de vacances, en fonction du nombre d’heures effectuées. Ces timbres, cumulés, peuvent ensuite être échangés contre de l’argent dans une institution financière. Sur papier, le mécanisme paraît équitable. Mais dans la pratique, il devient vite un cauchemar logistique. Trop de types de timbres, des remboursements difficiles, des délais bancaires imprévisibles… et surtout, une absence de coordination. Les travailleurs prenaient leurs vacances à des moments différents, provoquant des interruptions constantes sur les chantiers, à cause de l’interdépendance entre corps de métier.

En 1971, le gouvernement de Robert Bourassa tranche. Il décrète officiellement la création des vacances de la construction : deux semaines de congé consécutives, imposées à tous les travailleurs de l’industrie, au même moment. Cette décision, à l’époque pragmatique, permet de mieux planifier les projets, d’éviter les interruptions et de garantir un minimum d’équité entre les ouvriers. L’effet culturel, lui, dépassera largement les chantiers.

Depuis, chaque année à la mi-juillet, le Québec ralentit. Pas seulement sur les chantiers : de nombreuses familles organisent désormais leurs vacances selon ce calendrier. Que ce soit au bord de la mer, dans les campings de la province, en visite chez des proches ou simplement à la maison, la pause est devenue une institution.

On voit alors défiler des scènes familières : des familles entassant les valises dans la voiture, des enfants excités à l’idée de dormir sous la tente, des couples profitant d’un après-midi au golf, ou des travailleurs heureux de ne rien faire d’autre que se détendre au bord de la piscine avec une bière à la main. Certains iront à Flatburg, d’autres dans Charlevoix ou à Saint-Rémi. Peu importe la destination, l’esprit est le même : respirer, souffler, décrocher.

Malgré la fluctuation du dollar canadien ou la hausse des prix dans les stations touristiques, la magie reste intacte. Car ces vacances, pour beaucoup, ne sont pas qu’un moment de loisir. Elles sont une reconnaissance, un droit acquis à force de luttes, et une parenthèse précieuse dans un métier exigeant physiquement et mentalement.

Les vacances de la construction sont donc bien plus qu’un congé coordonné. Elles sont le reflet d’une solidarité ouvrière, d’une culture unique, et d’une façon bien québécoise de dire : « On a travaillé fort. On l’a mérité. »

Sources :
– Extrait vidéo de Radio-Canada : Les vacances de la construction diffusé sur ICI Première, juillet 2024
– Commission de la construction du Québec (CCQ) : Historique des vacances de la construction
– Bibliothèque et Archives nationales du Québec : Réformes sociales au Québec, 1946–1971
– Témoignages recueillis dans le reportage d’Olivier Bachand, Radio-Canada, Montréal.

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