
Propos recueillis sur la chaîne Thinkerview, dans une entrevue filmée à Paris en juin 2025. L’ambassadeur d’Iran en France, Mohamed Amine Nedjad, revient longuement sur les frappes israéliennes en territoire iranien, les accusations sur le nucléaire, les alliances internationales, et la réponse militaire de son pays.
Qui est Mohamed Amine Nedjad ?
Mohamed Amine Nedjad est diplomate de carrière et actuellement ambassadeur d’Iran en France depuis 2024. Il a servi dans plusieurs postes à l’étranger, notamment en Afrique et en Europe, ainsi qu’au sein du ministère iranien des Affaires étrangères. Son profil incarne une diplomatie iranienne attachée au respect du droit international, mais également marquée par une posture de fermeté face à Israël et aux puissances occidentales.
Le 13 juin 2025 : des frappes israéliennes sur le sol iranien
« Depuis le 13 juin au matin, Israël a attaqué l’Iran », déclare-t-il d’entrée de jeu. Il parle de frappes aériennes et de dispositifs sophistiqués ayant visé des appartements de militaires iraniens, tuant parfois leurs familles. « Des scientifiques iraniens ont été visés. Il y a eu des installations gouvernementales touchées, mais aussi des bâtiments civils. »
Il dénonce une attaque unilatérale, sans fondement légal. « Sur quelle base juridique ou légitimation se fonde cette guerre dite préventive ? », interroge-t-il. Pour lui, la réponse du droit est claire : « L’attaque d’un pays souverain est interdite par la Charte des Nations unies. »
L’Iran et le nucléaire : une bombe fantasmée ?
Interrogé sur le programme nucléaire iranien, il est catégorique : « L’enrichissement de l’uranium, en soi, n’est pas une preuve d’intention militaire. » Il rappelle que l’Iran est signataire du Traité de non-prolifération (TNP) et collabore avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) depuis des décennies.
« Il n’y a pas de limite sur le pourcentage d’enrichissement dans le traité, tant que l’usage reste civil. »
Il précise que l’Iran a enrichi jusqu’à 20 % pour produire le combustible d’un réacteur expérimental américain datant de l’époque du Shah. « Personne n’a voulu nous vendre ce combustible, alors nous l’avons fabriqué nous-mêmes. »
Sur les accusations israéliennes : « Cela fait quarante ans qu’ils disent que nous sommes à trois jours de la bombe. »
La riposte iranienne : militaire mais ciblée
L’ambassadeur confirme qu’une réponse militaire a bien eu lieu. « L’Iran a exercé son droit à la défense en ciblant les bases d’où venaient les attaques. » Il précise : « Dans notre culture, nous ne cachons pas d’armes dans les hôpitaux. Nous n’avons pas de QG au troisième sous-sol d’un bâtiment civil. »
Selon lui, les installations touchées par Israël incluaient un hôpital et la chaîne de télévision iranienne. « Le premier jour, il y a eu 65 civils tués, dont 20 enfants. »
Il estime que l’Iran agit avec retenue : « Nous évitons toujours les cibles civiles. Mais s’ils frappent nos infrastructures énergétiques, nous frapperons les leurs. »
Une guerre psychologique et technologique
L’ambassadeur reconnaît que des fuites internes ont permis à Israël de mener des frappes précises. « Il y a eu des trahisons, oui. C’est vrai. » Il ajoute : « Ce sont les effets de la pression maximale. Quand un peuple souffre, il y a des failles. »
Il accuse Israël d’avoir exfiltré des agents et alimenté le Mossad en informations sur des cibles clés, parfois via des « marionnettes » achetées.
Le Hezbollah, le Hamas, les Houthis : amis ou mandataires ?
Sur les alliances régionales, il nie toute subordination. « Le Hezbollah est un groupe politique et militaire libanais qui défend son territoire. Ce n’est pas notre marionnette. » Même réponse pour les Houthis : « Ils ont leurs moyens, leurs chefs. Nous sommes solidaires, mais ils agissent par eux-mêmes. »
Il insiste : « Le Hamas est sunnite. Nous n’avons pas de relation historique. Ce sont des liens humains, religieux, pas une chaîne de commandement. »
Alliances mondiales : pas d’alliance militaire formelle
« Nous n’avons pas d’alliance militaire avec la Russie ou la Chine », déclare-t-il. Il parle plutôt d’une coopération encadrée, notamment avec la Russie après la guerre Iran-Irak. Sur l’Ukraine : « Nous ne sommes pas impliqués. Nos relations avec les Ukrainiens ont toujours été respectueuses. »
Sur la Chine : « Nous avons une relation fondée sur le respect, la complémentarité économique et des positions politiques proches. Mais nous ne comptons que sur notre peuple. »
Le droit international : un cadre instrumentalisé
L’ambassadeur admet une certaine désillusion. « Le droit international est parfois instrumentalisé. Les puissants le manipulent. Tony Blair est-il en prison ? Non. George Bush ? Non. » Mais il estime que ce cadre reste nécessaire. « Sans un cadre juridique, c’est la loi du plus fort. »
Le message de paix iranien : sincère ou stratégique ?
« La paix, nous l’appelons "sol". C’est un mot précieux pour nous. » Il insiste : « Nous avons toujours agi de manière responsable. Nous n’avons jamais déclaré la guerre. »
Il accuse Israël de vouloir « faire basculer la République islamique » et rappelle que « même des chefs religieux juifs en Iran ont dénoncé les frappes israéliennes. »
Une médiation possible ?
À la question : « Quel pays pourrait apaiser la situation ? », il répond : « Nous n’avons pas besoin d’intermédiaires. Mais si certains veulent arrêter le sang, ils seront les bienvenus. » Il rejette toute idée de discussion directe avec Israël : « Aucun contact. Aucun canal. »
Mais il conclut sur une ouverture : « Si un jour une justice relative émerge, il n’y a pas de raison de refuser les relations humaines. »
Derniers mots
Il termine avec une note humaniste : « La vie est courte. Ce qui reste, c’est notre richesse humaine. Il faut parler. Se connaître. » Et il cite les grands poètes iraniens comme Hafiz et Rumi pour découvrir « une culture de paix, de respect et de coexistence. »
À suivre ? L’interview israélienne, si elle a lieu, pourrait offrir un contrepoint éclairant. En attendant, l’Iran a parlé. Calmement. Fermement. En accusé et en accusateur.
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