
Il avait promis la fin de l’empire. Il avait promis la vérité. Il avait promis l’assèchement du marécage. Pour des millions d’Américains – et bien des observateurs à l’étranger – Donald Trump incarnait une rupture avec le bellicisme néoconservateur, la corruption de Washington, les manipulations médiatiques et les mensonges technocratiques. En 2016, puis plus encore à l’aube de son second mandat en 2025, Trump s'était positionné en figure du retour aux intérêts nationaux, à la transparence, à la souveraineté, à l’économie réelle. Aujourd’hui, cette base a des raisons de se sentir trahie.
D’abord par l’abandon du non-interventionnisme. En 2016, Trump s’était distingué des faucons républicains en dénonçant la guerre en Irak, en promettant de ramener les troupes à la maison, en critiquant l’OTAN, en prônant un réalisme économique plutôt qu’un impérialisme idéologique. Mais en 2025, c’est sous son autorité que les États-Unis ont entamé une opération militaire massive contre l’Iran, officiellement pour « garantir la sécurité régionale » – une rhétorique qui rappelle furieusement celle de ses prédécesseurs. La promesse de tourner la page sur les aventures militaires s’est évanouie au profit d’un budget militaire gonflé à 1,2 trillion de dollars, un record historique.
Ensuite, il y a eu les non-dits. La déclassification des documents liés à John F. Kennedy ? Enterrée. L’affaire Epstein ? Éclipsée. Les communications internes sur le COVID et le rôle d’Anthony Fauci ? Rien, ou si peu. Pourtant, c’étaient là des piliers de la promesse trumpienne : exposer les puissants, révéler les mensonges, redonner le pouvoir au peuple en mettant à nu les rouages de l’État profond. À la place, Trump a prolongé l’omerta, comme ses prédécesseurs, trahissant ceux qui l’avaient élu pour rompre avec le silence complice.
Même sur le plan économique, les signaux sont troublants. Au lieu de constituer une réserve stratégique de bitcoins, comme certains de ses conseillers l’avaient laissé entendre, c’est vers des cryptomonnaies douteuses – souvent promues par Elon Musk lui-même – que s’est tourné l’appareil trumpien. On parle désormais de spéculations publiques sur des jetons comme le Dogecoin, dont la valeur repose davantage sur les humeurs de milliardaires que sur une stratégie monétaire sérieuse.
Mais c’est peut-être sur le plan fiscal que la contradiction atteint son sommet. Trump avait promis de rationaliser l’État, de créer le DOGE – Department of Government Efficiency – un ministère censé couper dans le gras bureaucratique, rationaliser les dépenses, éliminer le gaspillage. Et dans les discours, il l’a fait : il a limogé, réorganisé, réduit certains postes. Mais pendant ce temps, il faisait l’inverse dans l’ombre. Le plafond de la dette a été relevé sans condition, propulsant la dette américaine vers une trajectoire exponentielle. On coupe d’un bord, on fait sauter la caisse de l’autre. Le slogan de l’efficacité gouvernementale devient une farce, une vitrine vide destinée à calmer les électeurs pendant que la machine s’emballe.
Quant aux politiques commerciales, elles ont fini de briser le lien de confiance. Trump avait promis de défendre la classe moyenne, de relocaliser les emplois, d’en finir avec la mondialisation sauvage. Il se disait le président du « forgotten man », celui qui vit de ses mains, qui peine à joindre les deux bouts. Pourtant, ce sont justement ces Américains qui paient aujourd’hui le prix fort de ses politiques tarifaires. En imposant des droits de douane sur l’aluminium canadien, les produits chinois, les véhicules mexicains ou les fruits sud-américains, Trump n’a pas puni les multinationales – il a instauré une taxe déguisée sur sa propre population. Car ces tarifs ne sont pas absorbés par les géants de l’importation : ils sont refilés aux consommateurs, dans les prix à l’épicerie, sur les matériaux de construction, les outils, les vêtements. C’est une taxe sur la vie quotidienne de ceux qu’il avait juré de défendre.
Et pendant que les prix explosent, que les dettes publiques s’accumulent, que les documents sensibles restent verrouillés et que les bombes tombent à l’étranger, Trump parade sur Truth Social, multiplie les clins d’œil à Elon Musk, vante des projets farfelus, et poursuit une politique de façade. Le populisme devient un théâtre. Le président, un acteur en campagne permanente.
La base de Trump – ouvriers, vétérans, indépendants, libertariens, familles rurales – semble aujourd’hui désemparée. On lui avait promis une révolution patriotique, elle se retrouve avec une version augmentée du système qu’elle dénonçait. Le marécage n’a pas été asséché, il a été repeint aux couleurs de MAGA. Il serait trop facile d’accuser ses électeurs d’avoir été naïfs. Ils avaient des raisons légitimes d’espérer. Mais entre le discours et les actes, un fossé s’est creusé. Et aujourd’hui, ce fossé ressemble à une trahison.
La politique, dit-on, est l’art de la déception. Mais il y a une différence entre décevoir et trahir. Donald Trump avait promis de rompre avec l’Empire ; il s’est contenté de le renforcer. Et il a envoyé la facture à ceux qui croyaient encore en lui.
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