Les intérêts supérieurs de la nation : comprendre la géopolitique à travers les priorités immuables des États

Publié le 8 août 2025 à 06:35

En géopolitique, certaines priorités dépassent les gouvernements, les idéologies et même les générations. Ce sont les intérêts supérieurs de la nation : ces lignes rouges que tout État s’engage à défendre, quels que soient les dirigeants au pouvoir, quitte à recourir à la force militaire. Les comprendre permet de décoder bien des décisions stratégiques et d’anticiper des tensions futures. L’examen de quelques puissances majeures – la Chine, la Turquie, la Russie et Israël – offre un panorama éclairant de ce concept.

Chine : l’unité intérieure et l’accès aux mers
Le premier impératif stratégique chinois découle de sa géographie : deux pays en un seul. À l’est, la plaine fertile et densément peuplée concentre l’activité économique et politique ; à l’ouest, des territoires immenses mais hostiles – climats extrêmes, montagnes, déserts – peuplés de minorités ethniques et religieuses, souvent traversées par des mouvements autonomistes (Ouïghours, Tibétains). Pékin considère le maintien de l’unité nationale comme vital, ce qui justifie une présence militaire et administrative massive dans ces régions, d’autant qu’elles jouxtent des puissances rivales comme l’Inde.

Le second axe stratégique est maritime. La Chine est littéralement contenue par une « première chaîne d’îles » contrôlée ou influencée par les États-Unis et leurs alliés (Japon, Corée du Sud, Taïwan, Philippines). Comme ses exportations et ses importations d’énergie transitent par des détroits vulnérables, Pékin cherche à briser cette dépendance : sécurisation des routes maritimes, développement de corridors terrestres via l’initiative Belt and Road, et implantation d’infrastructures en Afrique et en Asie centrale pour diversifier ses débouchés.

Turquie : carrefour stratégique et neutralité active
Située au croisement de l’Europe, du Moyen-Orient, du Caucase et de la mer Noire, la Turquie possède un atout exceptionnel : le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles, unique accès maritime pour la Russie et d’autres pays riverains de la mer Noire vers la Méditerranée et les marchés mondiaux. Ce levier lui permet de peser dans les rapports de force régionaux et de monnayer son rôle, que ce soit dans la régulation des flux migratoires ou dans la gestion de crises militaires.

La politique turque repose sur une « neutralité équilibrée » : maintenir des relations avec tous les blocs – OTAN, Russie, monde arabe – sans s’aligner totalement sur aucun. Ce pragmatisme lui permet de préserver sa liberté d’action et d’exploiter sa position géographique comme monnaie d’échange diplomatique et économique.

Russie : États tampons et désenclavement maritime
L’histoire russe est celle d’un pays obsédé par ses frontières. La grande plaine eurasiatique, sans obstacles naturels à l’ouest, a facilité les invasions (Napoléon, Hitler). D’où la volonté constante de Moscou de disposer d’États tampons, qu’il s’agisse de la Biélorussie ou, par le passé, des républiques de l’URSS.

Autre vulnérabilité : l’accès limité aux mers libres. La Baltique est verrouillée par des membres de l’OTAN, l’Arctique est impraticable une grande partie de l’année, et la mer Noire dépend du bon vouloir turc. Pour pallier cet enclavement, la Russie maintient une base navale en Syrie et entretient des relations stratégiques avec des régimes hostiles aux États-Unis (Iran, Venezuela, Corée du Nord, Cuba). Enfin, l’exportation d’hydrocarbures, longtemps facilitée par des projets comme Nord Stream, reste un pilier de sa puissance et un instrument d’influence sur l’Europe.

Israël : survie et influence internationale
Petit État entouré de voisins historiquement hostiles, Israël perçoit sa sécurité comme une question existentielle. Militairement performant mais limité en ressources humaines, il s’appuie sur des alliances solides avec les puissances occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis.

Pour garantir cet appui, Israël déploie depuis sa création une stratégie d’influence profonde dans les sphères politiques et économiques des pays-clés. Objectif : s’assurer que, quelles que soient les alternances politiques, l’engagement à défendre Israël reste intact. Cette politique, qui inclut lobbying, réseaux d’alliances et actions discrètes, vise à prévenir tout isolement diplomatique et à maintenir une supériorité qualitative face à des menaces régionales multiples.

Une grille de lecture universelle
Qu’il s’agisse de la Chine cherchant à relier ses deux visages, de la Turquie jouant des détroits comme d’un levier, de la Russie érigeant des boucliers géopolitiques ou d’Israël cultivant des alliances vitales, tous ces cas illustrent une constante : les intérêts supérieurs de la nation sont dictés par la géographie, l’histoire et les besoins vitaux de survie ou de prospérité. Ils expliquent bien des tensions actuelles et dessinent les lignes de fracture de demain.

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