
Le 28 mai 2025, Mark Carney a publié sur Facebook : « Les Canadiens ont élu ce nouveau gouvernement avec un mandat solide : réduire les coûts et vous aider à aller de l'avant. Ce travail commence par une réduction d'impôts pour la classe moyenne, qui prend effet le 1er juillet. » À première vue, l’annonce est claire, optimiste et directe. Mais à y regarder de plus près, elle soulève une question démocratique capitale : comment une réduction d’impôt peut-elle “prendre effet” si aucune loi n’a encore été votée ?
Le Parlement suspendu, les lois absentes
Rappelons les faits :
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Le Parlement canadien a été prorogé le 6 janvier 2025, à la suite de la démission de Justin Trudeau.
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Une élection anticipée a eu lieu le 28 avril 2025.
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La nouvelle législature a officiellement commencé le 26 mai 2025.
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Le discours du Trône a été prononcé le 27 mai 2025.
La publication du 28 mai survient donc un jour seulement après l’ouverture du Parlement. À ce moment-là, aucun projet de loi n’avait été adopté.
Le 27 mai, le ministre des Finances François-Philippe Champagne a déposé un avis de motion de voies et moyens visant à réduire le taux marginal d'imposition le plus bas de 15 % à 14 %, avec effet prévu au 1er juillet 2025. Cette mesure toucherait environ 22 millions de Canadiens et permettrait à une famille à deux revenus d’économiser jusqu’à 840 $ par année.
Mais à ce jour, la motion n’a pas encore été votée par la Chambre des communes. Le processus est en cours. Elle devra être débattue, adoptée par la Chambre, puis par le Sénat, et recevoir la sanction royale avant d’entrer en vigueur.
Des allures d’ordres exécutifs... dans un régime parlementaire
Ce style de communication rappelle les pratiques présidentielles : annoncer des mesures majeures avant même qu’elles aient franchi les étapes institutionnelles nécessaires.
Mais le Canada n’est pas une république présidentielle. Le premier ministre ne peut pas gouverner par décret. Notre système repose sur le respect du processus législatif, la séparation des pouvoirs et la responsabilité ministérielle.
À trop vouloir projeter une image de “leader fort”, on en vient à oublier que le pouvoir exécutif canadien est encadré, et non absolu.
Problème de légitimité et de confiance
Annoncer une réduction d’impôt non votée brouille la distinction entre les intentions politiques et les lois réellement adoptées. Cette confusion affaiblit la confiance dans les institutions démocratiques et donne l’impression que le droit peut être contourné pour des raisons de marketing politique.
Un exemple frappant remonte à 2024, alors que le gouvernement Trudeau avait annoncé une hausse du taux d’inclusion sur les gains en capital. De nombreux Canadiens ont vendu précipitamment des propriétés, des entreprises ou des placements, croyant éviter une future ponction fiscale. Or, la mesure n’a jamais été adoptée. Résultat : des décisions patrimoniales majeures ont été prises sur la base d’un simple effet d’annonce, sans fondement légal. Une erreur coûteuse rendue possible par un climat d’incertitude créé par l’exécutif lui-même.
Une démocratie parlementaire forte repose sur des gestes législatifs clairs, pas sur des publications de réseaux sociaux ni des budgets sans suite.
Conclusion : la démocratie, ce n’est pas une mise en scène
Chercher à incarner un leadership résolu peut séduire certains électeurs, mais cela ne donne pas le droit de sauter les étapes fondamentales du système parlementaire.
La légitimité démocratique repose sur un équilibre : agir vite, oui — mais dans le cadre de la loi. Déformer ce cadre, c’est fragiliser la démocratie elle-même.
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