
Alors que l'été semblait tranquille, deux nouvelles ont frappé de plein fouet le monde de l'information et de la culture : la démission soudaine de Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine, et le décès du légendaire Ozzy Osbourne, à l'âge de 76 ans. Mais derrière ces gros titres, un autre sujet brûlant mérite l’attention : la gestion salariale controversée au sein de Radio-Canada.
Le diffuseur public canadien est une nouvelle fois dans la ligne de mire. Après avoir suscité une vive controverse en 2023-2024 pour avoir versé près de 18,4 millions de dollars en primes de performance, dont plus de 3 millions à seulement 45 cadres supérieurs, Radio-Canada annonçait en mai 2025 vouloir mettre fin à ce système de bonification. Cependant, la Fédération canadienne des contribuables a obtenu, grâce à la loi sur l’accès à l’information, des documents révélant que ces primes ont simplement été transformées en hausses salariales records, atteignant 37,7 millions de dollars pour l’année 2024-2025.
Ainsi, 6 295 employés ont reçu une augmentation moyenne de 6 000 dollars, sans qu’aucun salarié ne voie son revenu diminuer. Cette opération, qualifiée de "camouflage" par plusieurs observateurs, semble viser à contourner les critiques sans réellement réduire les coûts. Une stratégie assumée par Radio-Canada qui, selon une étude du cabinet Mercer, souhaitait maintenir une rémunération « au niveau médian du marché » même après l’abolition des primes. Mais cette justification ne passe pas auprès de nombreux citoyens.
Le malaise est d’autant plus palpable qu’en parallèle, le gouvernement fédéral a exigé des compressions budgétaires dans l’ensemble de la fonction publique, demandant aux ministères de réduire leurs dépenses de 15 % sur trois ans. Pour Radio-Canada, cela pourrait représenter entre 150 et 200 millions de dollars de coupes. Pourtant, au lieu de montrer l’exemple, le diffuseur semble avoir consolidé les privilèges d’une élite interne, au moment même où des mises à pied frappaient d'autres employés.
Le contraste est frappant : en 2015-2016, seulement 438 employés de Radio-Canada touchaient un salaire de plus de 100 000 dollars. En 2024-2025, ils sont 1 831, pour un coût total dépassant les 240 millions. Cela représente une augmentation de 318 % en une décennie. À elle seule, l’année 2024-2025 a vu une hausse de 17 % du nombre de salariés à six chiffres.
Certes, il ne s’agit pas de remettre en question l’importance d’une information de qualité. Mais Radio-Canada n’opère pas dans le vide. Dans un contexte où les médias privés – de Québecor à La Presse, en passant par la coopérative nationale de l’information – se débattent pour survivre face à l’effondrement des revenus publicitaires, le luxe dont jouit la société d’État fait grincer des dents. L’exemple souvent cité du house band présent en studio pour l’émission de Marie-Louise Arsenault illustre bien le sentiment de déconnexion avec la mission essentielle du service public.
D’autant plus que, contrairement à ce que laissent entendre certains arguments de défense, les conditions de travail dans le secteur public – incluant sécurité d’emploi, régime de retraite avantageux, horaires flexibles et vacances supérieures à la moyenne – font partie intégrante de la rémunération globale. Si l’on intègre tous ces éléments, les employés de Radio-Canada ne sont peut-être pas si désavantagés face au privé qu’on le prétend.
Ce dossier met également en lumière un enjeu plus vaste : celui de l’exemplarité. Le gouvernement fédéral annonce des restrictions, des gels d’embauche, des réductions de programmes. Mais dans les faits, certains secteurs de l’appareil public semblent épargnés, voire favorisés. Ce double discours alimente le cynisme et sape la confiance du public envers ses institutions.
Enfin, il est à noter que Radio-Canada ne règne pas en maître dans l’ensemble du pays. Si l’on se fie aux milieux anglophones, CBC ne représente pas le média dominant, loin de là. Son audience est marginale par rapport aux géants privés et son influence culturelle reste contenue. Ce qui pose la question : comment justifier un financement public de plus de 1,4 milliard de dollars, dans un contexte de crise financière généralisée, pour un service dont la portée réelle est limitée ?
Dans ce climat, la réaction a été forte et transpartisane. Même l’association "Les amis des médias canadiens", pourtant habituellement favorable au diffuseur public, a dénoncé ces pratiques comme "complètement déconnectées de la réalité". Ce n’est pas une surprise : sept Canadiens sur dix s’opposent aux primes de Radio-Canada, selon un sondage Léger.
La mort d’Ozzy Osbourne et le départ surprise de Jerome Powell auront peut-être volé la vedette aux bulletins de nouvelles, mais la transformation des primes en hausses salariales à Radio-Canada n’est pas un simple détail technique. C’est le reflet d’un malaise plus large sur l’usage de l’argent public, la responsabilité des institutions, et la confiance des citoyens envers ceux qui prétendent agir en leur nom.
Sources :
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Fédération canadienne des contribuables
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Radio-Canada, communiqué mai 2025
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Pilule Rouge – Maxime Bernatchez
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Journal de Montréal
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CBC / X.com
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Mercer Canada (rapport cité)
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Sondage Léger (2024)
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